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Elizabeth Plank : changer le monde, un clic à la fois

Entretien avec Elizabeth Plank : réfléchir, dénoncer et combattre les inégalités.

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Quand, au début de l’adolescence, des garçons de sa classe l’ont traitée de « catin », Elizabeth Plank n’a pas compris. Quinze ans plus tard, la Québécoise déménagée à New York a eu amplement le temps de se faire une tête sur la portée de l’insulte. Elle se fait aujourd’hui un point d’honneur de réfléchir aux inégalités dont souffrent les femmes et les minorités, et de les dénoncer sur toutes les tribunes.

Les Américains peuvent la voir à la télévision, entre autres sur les ondes de MSNBC ou Fox News, où on se l’arrache pour commenter l’actualité politique et les enjeux touchant les femmes. L’hiver dernier, sur son plateau de Tout le monde en parle, Guy A. Lepage buvait ses paroles. À 28 ans, Elizabeth Plank a été classée parmi les personnalités de moins de 30 ans à surveiller par le prestigieux magazine économique Forbes.

L’ascension de la journaliste a été fulgurante. Le site d’information Mic, pour lequel elle écrit, a notamment vu sa popularité exploser depuis son arrivée il y a près de deux ans. Sans doute parce que la jeune femme utilise l’arme la plus redoutable qui soit pour véhiculer ses propos : les médias sociaux. Communicatrice hors pair, drôle et irrévérencieuse, elle vulgarise notamment ses idées par l’intermédiaire de capsules vidéo où elle se met en scène. Elle a par exemple frappé l’imaginaire en montrant des hommes tenter – sans grand succès – de dessiner un vagin. Le but de l’exercice? Démontrer que ceux qui détiennent la majorité au Congrès ne connaissent rien au système reproducteur féminin qu’ils veulent contrôler à coups de projets de loi.

Les bénéfices du doute

Mais Elizabeth Plank n’a pas toujours été aussi loquace. Lors des discussions de groupe dans les salles de classe de McGill où elle a obtenu une maîtrise en études féministes et développement international, elle prenait rarement la parole. « Je trouvais que les autres étudiants étaient beaucoup plus intéressants que moi », confesse la sympathique Montréalaise originaire du quartier Rosemont–La-Petite-Patrie.

Un sentiment commun à un grand nombre de femmes, et qui ne l’a jamais vraiment quittée. « Les hommes ne sont pas mieux parce qu’ils sont trop confiants et prennent de grands risques. Les États-Unis n’auraient pas connu une crise économique de cette ampleur si des femmes avaient été à la tête des banques et des entreprises », lance au bout du fil celle qui a aussi fréquenté la London School of Economics.

Un cadeau empoisonné?

Quand elle était enfant, c’est l’histoire de sa mère, qu’elle préfère taire par pudeur, et son père « très féministe » qui l’ont intéressée aux enjeux de société, particulièrement à ceux touchant l’égalité des sexes. La fillette a d’ailleurs beaucoup pleuré de ne pas avoir de poupées Barbie à la maison… À l’adolescence, la grande brunette se faisait déjà remarquer dans la cour d’école parce qu’elle aimait « avoir du style et porter des couleurs voyantes ». Mais elle n’a pas toujours su comment gérer cette attention. « J’étais tellement mélangée quand je me suis fait traiter de catin à 13 ans! Je me disais : “Attends, être une pute, c’est mauvais ou c’est bon?” » Elle a alors compris qu’avoir un joli minois et une silhouette enviable comporte son lot d’avantages, mais aussi d’inconvénients.

Photographie de Elizabeth Plank.

« On ne sera pas égales aux hommes tant qu’on ne marchera pas dans la rue sans se sentir menacées. »

Elizabeth Plank, rédactrice en chef de Mic

En arrivant sur le marché du travail, Elizabeth Plank a été désillusionnée plus souvent qu’à son tour. Ses collègues féminines et elle y sont fréquemment infantilisées et sexualisées, dit-elle. Elle se souvient de cette fois où un homme à la tête d’une grande entreprise l’a invitée pour un café sous le prétexte du boulot alors qu’en fait, il s’agissait d’une date déguisée. Ou du moment où elle s’est rendu compte que son mentor s’était tranquillement transformé en prédateur. « Je n’avais aucune idée que c’était du harcèlement sexuel : quand tu es dedans, tu n’as pas la même perspective. Ç’a été une expérience vraiment difficile qui m’a fait réaliser qu’il faut toujours que je sois consciente du fait que je suis une jeune femme. »

Le message avant tout

À l’instar des célébrités à la mode, la journaliste reconnaît toutefois qu’elle est privilégiée. « Mon “enveloppe”, si je peux dire ça comme ça, me permet d’avoir un avantage dans un monde où l’apparence est super importante. » Mais ce « boni » vient avec son lot de doutes professionnels. Elle admet par exemple se questionner sur les véritables raisons pour lesquelles sa carrière a décollé à cette vitesse, et se demander si elle mérite la place qu’elle occupe. Mais à son grand soulagement, la revue de presse à son sujet flatte davantage son intellect que son corps.

« Ce n’est pas la faute d’Amal Clooney, de Taylor Swift ou de Beyoncé si on leur accorde plus d’attention qu’aux femmes qui travaillent depuis 40 ans pour le féminisme! » fait valoir Elizabeth Plank, qui repousse les critiques selon lesquelles le travail de longue haleine de nos mères et de nos grands-mères passe en second plan lorsqu’une star s’exprime. L’essentiel, selon elle, c’est que les vedettes utilisent les projecteurs braqués sur elles à bon escient, comme Emma Watson l’a fait récemment. Cet écho provenant d’Hollywood, aussi imparfait soit-il, permet aux jeunes à la recherche de modèles de s’approprier un discours positif, plaide-t-elle.

C’est entre autres pour cette raison qu’elle espère voir Hillary Clinton portée à la tête de son pays d’adoption aux prochaines élections présidentielles. « Est-ce qu’elle va régler tous les problèmes liés aux femmes? Certainement pas », nuance Elizabeth Plank, qui croit toutefois que la politicienne peut faire la différence chez nos voisins du sud, où l’accès à l’avortement demeure un débat chaud et où les congés de maternité ne sont pas inscrits dans la loi.

Si elle qualifie les États-Unis d’« arriérés » à bien des égards par rapport au Québec, la féministe considère par contre que sur certaines questions, comme celle de la violence physique, verbale ou sexuelle faite aux femmes, la province ne fait pas meilleure figure. « À New York ou à Montréal, toutes les femmes de mon entourage en ont été victimes à un moment ou à un autre, moi y compris », s’indigne-t-elle.

La cascade de dénonciations à la suite de l’affaire Jian Ghomeshi l’a néanmoins encouragée. Mais elle n’en démord pas : les femmes sont loin d’avoir remporté toutes les batailles liées à leur sexe. « On ne sera pas égales aux hommes tant qu’on ne marchera pas dans la rue sans se sentir menacées », tranche-t-elle. Cela vaut aussi pour la présence des femmes dans le monde virtuel : elles ne se sentiront jamais libres tant qu’elles seront harcelées derrière leur clavier, selon Elizabeth Plank. Et c’est ce qu’elle s’emploie tous les jours à combattre, un clic à la fois.