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L’amour au temps de l’égalité

De passage au Québec fin 2009 pour y présenter son livre Un siècle d’amour de 1900 à aujourd’hui, …

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De passage au Québec fin 2009 pour y présenter son livre Un siècle d’amour de 1900 à aujourd’hui, la célèbre militante française Florence Montreynaud nous a parlé d’amour et, bien sûr, de féminisme.

Gazette des femmes :Comment ce livre s’inscrit-il dans votre parcours de féministe engagée?

Florence Montreynaud :Ça m’a semblé un défi, parce que je ne crois pas que beaucoup de féministes ont écrit sur l’amour. J’ai parlé de violence depuis 40 ans, de prostitution depuis 10 ans, et ça m’a paru bien, à la fin de ma vie active, de parler d’amour. Je voulais rééquilibrer la balance.

Ce n’est pas un discours qu’on a l’habitude d’entendre de la bouche des féministes. Ça semble même surprendre les gens que les féministes soient aussi des amoureuses.

Vous avez raison, ça semble une contradiction dans les termes. Ça paraît difficile de dire à la fois « Je veux le respect et l’égalité » et « J’aime et je suis
aimée »
. C’est pourquoi il est grand temps qu’on parle aussi de ces sujets-là, car c’est une telle aliénation quand l’amour n’est pas vécu dans l’égalité, et c’est une telle source de bonheur et de pouvoir – au sens d’empowerment – de se sentir aimée. Les féministes pourraient faire de plus grandes choses encore si elles se pensaient aussi comme des sujets amoureux, aimants.

Vous dites qu’en amour, les deux grandes inventions et défis du 20e siècle ont été le couple d’égaux et l’amour dans le mariage, mais qu’on en a pour plusieurs siècles avant de voir l’égalité pleinement vécue. Quelles stratégies doit-on développer pour y parvenir?

L’éducation. C’est ma réponse à tout. Et pour la sexualité : l’éducation sexuelle. Mais une vraie, pas une qui fait peur avec le sida et les grossesses.Une éducation au désir, au plaisir et au respect. Apprendre aux enfants à respecter l’autre, à se respecter, à respecter leur corps. Enseigner les tâches ménagères aux garçons. Quand on comprendra que le gène du repassage n’est pas codé sur le chromosome XX, ça changera l’humanité! Le féminisme est une résistance. Nous résistons et affirmons la dignité
humaine. Et la dignité humaine, ce n’est pas le travail gratuit reposant à 80% sur les épaules des femmes.

Les féministes ont-elles une définition de l’amour différente de celle des autres femmes?

Je crois que le respect, la dignité, l’égalité, tous ces fondements féministes ne sont pas du tout les mêmes chez les femmes et les hommes non féministes. Par exemple, « l’amour qui comble tous les manques », c’est généralement la définition des femmes intoxiquées par les magazines féminins. Une féministe sait que l’amour ne peut pas combler tous les manques. Elle sait que c’est une construction difficile, aléatoire, comportant une part de hasard, de miracle, et qu’on ne peut pas compter sur l’autre d’une manière infantile. L’autre n’est pas tout-puissant. Nous sommes des êtres imparfaits, fragiles, et nous faisons alliance pour un bout de chemin, pour toute la vie si on peut, mais pour un bout de chemin, c’est déjà formidable! Et ça, ça me paraît une conception féministe, parce que réaliste. Toutes les autres sont illusoires. Si on attend trop de l’amour, on va dans un mur. La plus grande qualité des féministes, c’est la lucidité.