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Pour briser le carcan sexiste

L’atteinte d’une réelle égalité entre les femmes et les hommes passe notamment par une lutte acharnée contre les stéréotypes sexuels et sexistes de tous les milieux de socialisation.

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L’atteinte d’une réelle égalité entre les femmes et les hommes passe notamment par une lutte acharnée contre les stéréotypes sexuels et sexistes de tous les milieux de socialisation. Utopique? Justement, croit Francine Descarries. L’utopie est nécessaire pour imaginer un monde meilleur. Entrevue.

Gazette des femmes : Selon les résultats de votre étude Entre le rose et le bleu, la tâche pour venir à bout des stéréotypes apparaît titanesque tant ceux-ci sont dotés d’une capacité régénératrice étonnante. Existe-t-il un antidote?

Francine Descarries : Oui : l’atteinte d’une véritable égalité de droit et de fait entre les femmes et les hommes. Les stéréotypes sexuels sont la
projection d’opinions toutes faites et réductrices enracinées dans notre réalité sociale immédiate. Ils créent une distorsion des différences entre les sexes qui est sans fondement. « Prêts-à-penser », ils sont utilisés pour nous définir en tant que femmes ou en tant qu’hommes. Conséquemment, ils jouent un rôle important dans notre façon de nous représenter et d’interagir avec l’autre sexe.

Plusieurs auteurs estiment que les stéréotypes sexuels tendent à traduire un consensus à l’égard des rôles sociaux féminins et masculins. De ce point de vue, ils sont le reflet de l’inégalité entre les sexes. Ils canalisent des représentations des rapports entre les sexes insuffisamment remises en question qui finissent par s’imposer comme des évidences pour justifier la division sociale des femmes et des hommes et la discrimination systémique qui en résulte. Il y a alors lieu de penser que la reconnaissance réelle du principe de l’égalité entre les sexes et la disparition des facteurs systémiques de discrimination à l’égard des femmes rendraient caduc le recours aux stéréotypes sexuels. Cette reconnaissance les dépouillerait, en quelque sorte, de leur « utilité » sociale puisqu’ils n’ont pas d’existence intrinsèque hors des contextes sociaux et historiques dans lesquels ils se déploient.

La famille est un milieu particulièrement important au regard de la transmission des stéréotypes sexuels. Comment sensibiliser les parents, actuels ou futurs, afin qu’ils prennent pleinement conscience de l’existence des stéréotypes et de leurs effets sur leurs enfants?

Il existe un consensus selon lequel la famille représente le lieu premier où l’enfant apprend les représentations et les comportements stéréotypés de son sexe. Il y a donc urgence d’appuyer toute initiative qui favoriserait l’apprentissage du rôle parental dans une perspective égalitaire. Pourtant, à ce jour, l’essentiel de nos interventions se limite à des énoncés de principe sur l’importance de sensibiliser les familles au rôle qu’elles peuvent jouer pour aider à débarrasser la société du carcan sexiste. Nul doute que le caractère privé de la famille barre la route à la mise en oeuvre de programmes d’intervention efficaces destinés aux parents. Et, que je sache, aucun programme scolaire ne propose des cours de « parentalité ».

Une campagne médiatique qui ciblerait les parents pourrait certes les encourager à débusquer les stéréotypes, souvent implicites, véhiculés par les jouets ou l’habillement des enfants, tout comme par leurs propres comportements et attitudes. Une telle campagne pourrait également être l’occasion de sensibiliser les parents aux effets négatifs de la reproduction des stéréotypes sur le développement, le bien être personnel et la capacité de ces futurs adultes à développer une perception plus égalitaire des rapports entre les hommes et les femmes.

Mais il est clair que la lutte contre les stéréotypes sexuels doit commencer par une transformation des comportements à la maison, notamment par des changements dans le partage des responsabilités familiales entre les hommes et les femmes. Cette lutte appelle également à la mise en oeuvre, par les entreprises et les gouvernements, de mesures et de politiques en matière de conciliation famille-travail visant à réduire la division sexuelle des rôles et des tâches au sein de la famille.

Si les stéréotypes n’existent pas en soi, mais qu’ils sont le reflet de rapports inégalitaires entre les sexes et de rôles sexués, il faudrait travailler à éradiquer les facteurs de discrimination. Par où commencer?

Lutte contre les stéréotypes sexuels et lutte contre le sexisme doivent se conjuguer. Elles relèvent d’un seul et même projet sociétal ambitieux et global. Celui-ci commande la promotion de comportements égalitaires tant dans la sphère familiale que publique, de même qu’un changement des mentalités et des pratiques. Certes déjà bien amorcé au Québec, ce changement demeure néanmoins inachevé.

Il est reconnu que l’école constitue le lieu par excellence pour s’attaquer aux stéréotypes sexuels et mener des campagnes de sensibilisation et d’information. Mais l’action pédagogique de l’école risque de demeurer stérile si la lutte n’est pas étendue, entre autres, aux milieux du sport et des loisirs ainsi qu’à ceux de la publicité et des médias. Pour ces derniers, il y a lieu d’exiger la révision et le resserrement des mécanismes de surveillance, et ce, particulièrement en ce qui concerne les usages abusifs de la sexualité, de la violence et du dénigrement à l’égard des femmes. Enfin, il ne faut pas oublier que la lutte contre les stéréotypes sexuels doit aussi viser l’ensemble des milieux de travail, qui fonctionnent encore essentiellement au sein d’une culture organisationnelle androcentriste, c’est-à-dire définie à partir de la seule participation des hommes.

À partir de préjugés sexistes, la société fabrique des femmes et des hommes qui sont ensuite soumis à des codes sociaux selon leur sexe. Dans votre étude, vous écrivez notamment que « la plupart des initiatives élaborées pour lutter contre les stéréotypes sexuels le sont dans diverses dimensions de la vie quotidienne ou encore dans un seul milieu de socialisation à la fois, ce qui réduirait leur efficacité ». N’est-ce pas utopique de penser à une stratégie d’actions concertées, comme vous le prônez, de tous les milieux de socialisation?

Absolument, cela relève de l’utopie.Mais l’utopie est nécessaire pour imaginer un monde meilleur et envisager les stratégies pour y parvenir. L’humaniste français Théodore Monod faisait souvent remarquer que « l’utopie est simplement ce qui n’a pas encore été essayé » et qu’elle «peut devenir la réalité de demain». En ce sens, l’utopie est au cœur même du projet féministe et de ses aspirations pour plus d’égalité, de justice sociale et de démocratie. C’est pourquoi il est primordial que les initiatives en milieu
scolaire soient conjuguées à des actions du même ordre dans les différents milieux de socialisation, notamment les milieux familial et professionnel, ainsi que ceux des loisirs, des médias et de la publicité. Surtout, leurs messages en faveur de l’égalité des sexes ne doivent pas être quotidiennement contredits par les images et les pratiques que renvoient, entre autres, la publicité sexiste, les jeux vidéo, les émissions de téléréalité et le comportement de certains adultes. Cela étant, je soutiens que
l’aspiration à l’égalité doit être appuyée non seulement par un ensemble de pratiques pédagogiques, idéalement articulées les unes aux autres, mais aussi par une volonté sociale et politique de contrer les conditions matérielles, institutionnelles et systémiques de la discrimination sexuelle qui rendent l’expression des stéréotypes sexuels légitime, voire naturelle.

Pour plus d’information visité le site web du Conseil du statut
de la femme