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Le verre à moitié plein

Entrevue avec Pascale Navarro et Katie Gagnon : femmes et politique, entre progression et stagnation.

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Dressons un bref portrait de la situation. Au Québec, 17 % des maires sont des mairesses et les femmes détiennent 32 % des postes de conseiller. À l’Assemblée nationale, les députées occupent 27 % des sièges, et au Parlement d’Ottawa, 25 %. Les taux progressent lentement, voire régressent lors de certaines élections. Quel bilan tirer? Pour en discuter, nous avons réuni Pascale Navarro, auteure de Les femmes en politique changent-elles le monde? (Boréal, 2010), et Katie Gagnon, vidéaste et formatrice au groupe Femmes, Politique et Démocratie.

Gazette des femmes : Pourquoi le nombre de femmes en politique stagne-t-il?

Pascale Navarro : La stagnation s’observe surtout dans les mesures pour arriver à la parité. Car depuis 50 ans, il y a eu une progression quant à la représentation des femmes. Elle s’effectue en dents de scie, mais sur le long terme, ça ne veut pas dire qu’on recule. C’est toutefois une progression aléatoire, parce qu’absolument rien n’oblige à la parité, alors que l’égalité est un principe fondateur de la démocratie. Plus de 125 pays ont pourtant adopté des mesures incitatives pour atteindre la parité. Nos records de représentation féminine ne sont toujours que d’environ 30 % au Québec…

Photographie de Pascale Navarro.
« Si on regarde les 100 dernières années, on ne peut pas nier que les choses ont évolué. Je suis optimiste parce que les débats sont fertiles et que des gens portent la cause. »
 — Pascale Navarro, auteure et journaliste

Katie Gagnon : Le problème, c’est qu’on s’habitue au fameux 30 %. On se dit que ce n’est pas si pire. Mais 30 % de femmes, ça signifie qu’il y a 70 % d’hommes! En retournant la donnée à l’envers, c’est plus frappant. Quand on analyse la progression des femmes, il faut observer en parallèle l’évolution de l’image de la politique. L’image des politiciens est actuellement mauvaise. Qui a envie de se lancer en politique dans ce contexte? Des femmes le font malgré tout, et c’est extraordinaire, à mon avis!

Graphique illustrant le % de femmes occupant des postes de direction.
Pourcentage de femmes occupant des postes de direction. 27 % de femmes à l’Assemblée nationale, 17 % mairesses et 32 % élues dans les conseils municipaux.

Plusieurs rapports (du Directeur général des élections, du Conseil du statut de la femme, du groupe Femmes, Politique et Démocratie) indiquent qu’il faudrait instaurer des mesures pour favoriser la présence des femmes. Pourquoi est-ce que rien ne bouge?

K.G. : Il faudra en venir aux quotas obligatoires, mais cela exige une volonté politique. En attendant ce changement majeur, plusieurs mesures peuvent être mises de l’avant, comme un soutien financier incitatif aux partis politiques ou des quotas volontaires dans les partis.

P.N. : Québec Solidaire l’a fait : il a trouvé autant de candidates que de candidats aux dernières élections. Étant donné qu’ils ne sont que trois députés, on a l’impression que l’impact est minime. Mais cette avancée devient un symbole du fait qu’ils sont présents au Parlement. Les autres partis seraient capables de le faire. Penser à ces questions-là ne fait toutefois pas partie de la description de tâches d’un député. Il faut le leur rappeler.

Les femmes veulent-elles de ces quotas?

P.N. : Beaucoup résistent. Elles ne veulent pas être un symbole de quota; elles disent vouloir être choisies pour leurs compétences. Mais pourquoi présument-elles que parce qu’elles siégeront grâce à des programmes de discrimination positive, elles seront incompétentes? Ça me dévaste. Il y a pourtant des quotas depuis toujours. Par défaut, ce sont des quotas d’hommes!

K.G. : La loi sur la parité dans les conseils d’administration des sociétés d’État [adoptée en 2006] nous prouve pourtant que les femmes siégeant grâce aux quotas sont compétentes.

Pourquoi les femmes doutent-elles de leurs compétences?

K.G. : Le chemin qu’elles empruntent pour arriver en politique diffère généralement de celui des hommes. Elles viennent souvent des milieux communautaires et de l’engagement social, moins du monde des affaires. Mais leur bagage est tout aussi transférable.

P.N. : À cet égard, je pense que l’arrivée de plusieurs jeunes femmes inexpérimentées parmi la députation au NPD a eu un effet positif. [NDLR : Le caucus du NPD est le plus féminin de l’histoire du Parlement canadien, avec 40 députées élues en 2011 sur un total de 103 députés néodémocrates.] Par « inexpérimentées », je veux dire qu’elles n’étaient pas présentes dans la machine politique avant leur élection. On réalise que ce n’est pas nécessairement un inconvénient : elles posent des questions que d’autres ne poseraient pas, ont un regard que d’autres n’auraient pas. Leur candeur est bienvenue.

La population peut aussi s’identifier à elles plus facilement. Le député n’est plus nécessairement un monsieur en cravate qui semble sorti d’un bureau d’avocats; c’est aussi une jeune femme qui pourrait être ma voisine. Cela suscite beaucoup d’espoir… et d’attentes dans la population.

Photographie de Katie Gagnon.
« Il est intéressant de souligner qu’on ne s’interroge jamais sur l’apport des hommes en politique. C’est deux poids, deux mesures.  »
  — Katie Gagnon, vidéaste et formatrice au groupe Femmes, Politique et Démocratie

Est-ce que la population fait plus confiance aux femmes qu’aux hommes?

P.N. : Les gens souhaitent que les choses changent, que la politique soit plus représentative de leur vie quotidienne. Dans notre imaginaire collectif, la femme est la dépositaire de ce quotidien : c’est la maman, la fille, l’aidante naturelle. Mais le monde ne sera pas rose du jour au lendemain avec la parité. On ne vivra pas dans Walt Disney pour autant!

K.G. : Il ne faut pas faire reposer le changement démocratique en entier sur les épaules des femmes qui se lancent en politique.

Pourquoi faudrait-il plus d’élues?

P.N. : On me pose souvent cette question et je ne sais jamais comment répondre! Mais si on veut persuader la population, il faut y répondre en donnant des exemples concrets du travail des élues; montrer quels bénéfices en retire toute la société, pas seulement les femmes. Par exemple, grâce aux élues, des changements draconiens ont eu lieu dans les années 1980 et 1990. Pensons à la création du patrimoine familial, à la Loi sur l’équité salariale et à la mise sur pied des centres de la petite enfance.

K.G. : Il est intéressant de souligner qu’on ne s’interroge jamais sur l’apport des hommes en politique. C’est deux poids, deux mesures.

Le passage de Pauline Marois comme première ministre du Québec a-t-il eu un effet positif sur le désir des femmes de s’engager en politique, selon vous?

K.G. : C’est certain. Peu importe leur allégeance politique, les modèles influencent notre perception de ce qui est possible. Un chemin a été ouvert. Mais ça ne veut pas dire qu’il est facile à emprunter pour les suivantes.

P.N. : La preuve : dans la course à la chefferie du Parti québécois, il n’y a qu’une femme [Martine Ouellet]. L’élection de Pauline Marois démontre toutefois que les Québécois n’ont aucun problème à élire des femmes.

Mme Gagnon, vous avez voyagé pour réaliser vos films pour l’École francophone des candidates. Ce que les politiciennes vivent est-il universel?

K.G. : Les défis sont similaires de l’île Maurice au Sénégal, en passant par le Québec. Toutes les politiciennes interrogées abordaient la question du manque de confiance. Elles parlaient aussi de la nécessité de réseauter entre elles. Il est primordial d’aller chercher l’appui des hommes pour changer les choses, mais le besoin de se retrouver entre élues est présent.

P.N. : Les gars se retrouvent souvent sur le terrain de golf. S’ils font des arrangements entre eux, il faut également que les femmes puissent en faire.

Dans votre livre, Mme Navarro, vous affirmez préférer voir le verre à moitié plein quant à la représentation des femmes en politique. Demeurez-vous optimistes toutes les deux?

P.N. : Si on regarde les 100 dernières années, on ne peut pas nier que les choses ont évolué. Je suis optimiste parce que les débats sont fertiles et que des gens portent la cause.

K.G. : Je reste optimiste également, avec un bémol : j’aimerais que ça aille plus vite sur le plan de la politique représentative. Je me promène beaucoup au Québec pour donner des formations et je constate la quantité de femmes compétentes qui ont envie d’aller en politique. Faisons-leur une place!