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Marie Belzil : à l’assaut du monde, en 3D

Marie Belzil, réalisatrice multimédia et fabricante de rêves.

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Réalisatrice pour la célèbre firme de conception d’environnements multimédias Moment Factory, Marie Belzil repousse les frontières de l’art numérique. Et grandit avec chaque projet.

Enfant, Marie Belzil aimait pourchasser les grenouilles derrière la maison familiale, à Lévis. Elle s’est souvenue de cet « univers merveilleux » au moment de créer Foresta Lumina, parcours nocturne de 2 km signé Moment Factory qui sera repris durant les prochaines saisons estivales au parc de la Gorge à Coaticook, en Estrie. « Je me suis inspirée des légendes d’ici et d’ailleurs pour concevoir une série d’archétypes liés au territoire. Comme le spectacle a lieu à la nuit tombée, la lumière nous sert d’instrument pour animer la forêt. Des performances sont aussi intégrées à la vidéo. J’adore ça, car ce genre de projet te fait grandir. »

Fabricante de rêves

Réalisatrice multimédia, Marie Belzil appartient au petit contingent de femmes visionnaires qui, de projets fous en événements éclatés, repoussent les frontières de la représentation artistique. Cette maman d’une fillette de 5 ans représente une nouvelle facette du show-business au Québec. Depuis 2011, elle fait partie de l’équipe de Moment Factory, l’usine à rêves montréalaise qui a conçu plus de 300 installations multimédias à travers le monde.

Trônant au sommet de l’univers du divertissement numérique, Moment Factory s’est fait connaître en signant les effets visuels des spectacles de Madonna, de Céline Dion et du Cirque du Soleil. Renommé à l’échelle planétaire, le big bazar numérique québécois exécute également l’habillage 3D de grosses marques comme Oakley ou Bombardier. Mais c’est dans le domaine artistique que Moment Factory affiche son originalité avec des projets hautement poétiques comme celui du parc de la Gorge, à Coaticook.

Chez Moment Factory, où la moitié des réalisateurs sont des réalisatrices, Marie Belzil a récemment été associée à l’élaboration d’un projet novateur, technologie futuriste à l’appui. Intitulé Starwater, le spectacle permanent inclut des performances de danseurs, de chanteurs et de musiciens. Le client? La société maritime Royal Caribbean International, dont le chiffre d’affaires s’élevait à 7,1 milliards de dollars en 2011. Fenêtres se métamorphosant en écrans de projection, six écrans LED robotisés et articulés mesurant plus de 2 mètres de haut : les passagers du Quantum of the Sea, le plus récent paquebot de la flotte, auront de quoi s’en mettre plein la vue. Avec une équipe de trois réalisateurs, Marie a supervisé la mise en scène de 10 courts-métrages, un segment autonome conçu pour divertir les voyageurs entre les représentations de Starwater.

Jamais sans son identité

Le multimédia est-il un boys club? Oui, a constaté Marie Belzil. Comme au cinéma, la majorité de ses leaders artistiques a du poil au menton. Les femmes y délaissent-elles les postes de prestige pour les mêmes sempiternelles raisons? « C’est difficile d’être une mère et de mener tant de projets, concède-t-elle. Cela dit, comme femme, je veux rester fidèle à moi-même. Je refuse d’être impressionnée par une vedette comme Kathryn Bigelow. Bien sûr, elle est la seule femme à avoir décroché un oscar pour la meilleure réalisation. Mais elle l’a fait avec un film de guerre (The Hurt Locker, 2008) et en copiant le comportement masculin. »

Photographie de Marie Belzil.

À 32 ans, elle se dit inspirée par la génération née à la toute fin du dernier millénaire. « Je suis très fan de Lena Dunham, la créatrice de la comédie Girls diffusée sur ICI ARTV. Il y a dans cette série américaine une vraie vision de femme. Pas besoin de perdre son souffle à imiter les gars. C’est le postféminisme : on lutte pour notre place, mais sans renoncer à notre identité. »

Formée à l’école du documentaire (elle possède un diplôme en cinéma de l’Université Concordia), elle rêve de tourner son propre long métrage. Peut-être une histoire sur son père, un gentleman farmer mort dans la fleur de l’âge alors qu’elle avait à peine 15 ans. Dans un univers marqué par un esprit festif et la production d’effets plus que spéciaux, elle possède un style très personnel, axé sur la narration et la composition des personnages. Il y a du Lewis Carroll chez elle, mais aussi du Pierre Perrault, dont elle a revu les films récemment.

Pour l’aéroport international de Los Angeles (LAX) l’an dernier, Marie Belzil a fabriqué avec ses collègues un gigantesque univers virtuel à l’intérieur duquel les voyageurs peuvent circuler, mais aussi se divertir et se détendre. Après avoir jonglé avec les notions de voyage et de temps, elle a imaginé un dispositif visuel au milieu duquel se dresse une tour de l’horloge sur laquelle défile, entre les heures, une série d’images en noir et blanc — un hommage au cinéma muet. La tour a été qualifiée de chef-d’œuvre par les critiques. Au terminal international Tom Bradley de LAX, l’animation de Moment Factory comprend sept écrans hyper géants, du visuel 3D, quatre heures de vidéo originale et plusieurs capsules interactives.

À l’école du Moulin

Avant d’en arriver à ces créations spectaculaires, la réalisatrice a fait ses classes en journalisme, notamment dans les coulisses du magazine scientifique Découverte à la télévision de Radio-Canada. Mais c’est auprès de l’homme de théâtre Robert Lepage qu’elle a développé son langage visuel. Chez Ex Machina, elle a été adjointe à la création du Moulin à images, l’événement culte créé à l’occasion du 400e anniversaire de la ville de Québec et projeté sur les silos du Vieux-Port pendant les cinq années suivantes. « Le Moulin a changé ma vie. J’ai compris comment on pouvait raconter une histoire sur un canevas architectural. J’ai pris conscience de la force d’un récit décliné dans l’espace. »

Maître du théâtre de l’image, Lepage a été le premier à introduire la magie du trompe-l’œil sur scène, puis sur les parois d’édifices historiques. Chez Moment Factory, on a repris la balle au bond pour pousser encore plus loin l’utilisation d’outils visuels susceptibles de changer la perception de notre environnement. Un groupe d’affaires américain a même sollicité la firme montréalaise pour revamper un centre-ville afin que les travailleurs aient le goût de s’y attarder — et de consommer — après les heures de bureau.

À l’autre bout du spectre, l’entreprise a reçu une demande de la part d’une municipalité française pour une installation susceptible de canaliser la violence dans les ghettos. Si la proposition n’a finalement pas été retenue, Marie Belzil croit néanmoins que dans l’avenir, Moment Factory pourrait consacrer une partie de ses énergies à la « transformation sociale ». « Comme mère, on voit forcément plus loin, dit-elle. Et je crois aux technologies pour nous aider à construire un monde meilleur. »