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Sans enfant et alors?

Dans une société où le discours nataliste est roi, ne pas vouloir d’enfants est souvent mal perçu.

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Dans une société où le discours nataliste est roi, ne pas vouloir d’enfants est souvent mal perçu. Dans son essai L’envers du landau, Lucie Joubert, professeure à l’Université d’Ottawa, enlève un peu de pression des épaules des « non-mères », considérées à tort comme moins que femmes.

Gazette des femmes : Le discours ambiant affirme qu’il n’y a d’autre vérité que la maternité, que tout le reste est dérisoire. Vous désirez montrer
qu’il existe un autre choix de vie pour les filles?

Lucie Joubert : Je connais bon nombre de femmes qui ont choisi – et la question du choix est très importante – de ne pas avoir d’enfants et qui sont très satisfaites de leur vie. Je n’ai cependant pas écrit ce livre pour comparer le bonheur des mères et celui des non-mères, mais pour présenter l’autre côté de la médaille dans une société qui pousse les femmes vers la maternité.

Justement, vous dites que les femmes n’ont toujours pas réellement la possibilité de choisir d’avoir des enfants ou non, tant elles subissent une forte pression sociale. Pression qui est grandement véhiculée par les médias…

Pas seulement par les médias. Le discours social aussi est fait d’idées reçues, de trucs qu’on entend répéter – notamment qu’avoir un enfant est la plus belle chose qui puisse arriver à une femme – ou qu’on répète soi-même à l’occasion, sans jamais remettre ces postulats en question.

Enfanter figure toujours parmi les attributs de la féminité. Malgré cela, une femme qui ne veut pas d’enfants est-elle tout de même une femme?

Oui, mais une femme qui est autre, qui ne se range pas parmi les mères. Je n’ai pas l’impression d’être moins femme, même si c’est l’image qu’on me renvoie parfois. Je suis une femme, mais pas conforme aux canons féminins.

En soulevant la question de la soi-disant incomplétude des femmes nullipares, vous aidez aussi celles qui voudraient des enfants mais qui n’arrivent pas à en avoir, et qui se sentent d’autant plus malheureuses de toujours devoir se justifier, de se faire dire qu’elles sont incomplètes.

Quand on choisit de ne pas avoir d’enfants, on vit généralement bien avec cette décision. Mais en écrivant, je mesurais toute la pression sociale évoquée tantôt. Pour une femme qui veut des enfants mais qui ne peut pas en avoir, ce doit être épouvantable de constater que tout autour d’elle lui dit qu’elle n’est pas complète, qu’elle passe à côté de la plus belle chose qu’une femme puisse souhaiter! Même si ce livre est écrit de ma perspective, j’ose espérer que ma réflexion pourra aussi toucher ces femmes-là, leur montrer que les trois épouvantails qu’on brandit devant elles – tu vas le regretter, tu vas vieillir toute seule à l’hospice, qui va assurer ta descendance? – ne reposent pas sur des bases solides. Les recherches le prouvent. De plus, je dirais que les femmes sans enfant sont pratiques dans la mesure où, quand elles voient des amies, des sœurs ou des belles-sœurs qui sont mères, elles ne leur parlent pas nécessairement de leurs rejetons. Non pas parce qu’ils ne les intéressent pas, mais parce que c’est la femme derrière la mère qu’elles souhaitent retrouver et dont elles veulent parler.

Lucie Joubert, L’envers du landau. Regard extérieur sur la maternité et ses débordements, Triptyque, 2010, 112 p.