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Femmes de lumière

Longtemps ostracisées par leurs communautés et par la société québécoise, les femmes des Premières Nations ont soif de reconnaissance.

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Longtemps ostracisées par leurs communautés et par la société québécoise, les femmes des Premières Nations ont soif de reconnaissance. Maude Marcaurelle braque les projecteurs sur ces battantes dans un film touchant : Femmes invisibles et indivisibles.

Maude Marcaurelle a 28 ans et milite depuis plus de 10 ans pour le mouvement des femmes. Dès son jeune âge, à Trois- Rivières, elle a travaillé comme bénévole dans un Centre d’aide et de lutte contre les agressions à caractère sexuel (CALACS) et une maison d’hébergement. Aujourd’hui intervenante communautaire, notamment dans un centre de femmes, elle s’est aussi impliquée dans la Marche mondiale des femmes en 2000.

Parallèlement, elle étudie en herboristerie, une autre façon, dit-elle, de se rapprocher des peuples autochtones, pour qui elle a un grand intérêt. Après un premier documentaire sur une radio communautaire du Nicaragua, Maude Marcaur elle a voulu, avec son coréalisateur, Gabriel Garcia, aller à la rencontre de femmes d’ici. « De façon générale, je trouve que le mouvement féministe non autochtone n’est pas assez connecté aux luttes des femmes des Premières Nations », déplore la jeune femme, rencontrée
quelques semaines après la sortie de son dernier film, Femmes invisibles et indivisibles (dont le titre renvoie en partie à celui du film de Richard Desjardins et Robert Monderie, Le peuple invisible). « En tant que militante féministe, connaître leur réalité me manquait : j’en sais plus sur les luttes des femmes autochtones d’autres pays que sur celles des autochtones du Québec… C’était une démarche que je faisais à la fois pour moi-même, mais aussi pour le public. » La réalisatrice, qui milite aussi pour la Concertation des luttes contre l’exploitation sexuelle (CLES), souligne que les femmes autochtones figurent parmi les plus opprimées dans notre société, en particulier sur le plan de l’exploitation sexuelle.

Le fil invisible

En 2008, avec les moyens du bord, elle se lance dans la préparation de son documentaire. « C’est un film complètement autofinancé, produit sans subventions parce que nous ne voulions pas attendre. Nous avons décidé de faire ça tout seuls. Ce n’était pas très compliqué : une caméra, et ça y était… Bien sûr, on aurait pu travailler davantage la forme avec de bons moyens, mais pour le contenu, je crois que l’essentiel y est. » L’essentiel, c’est cette lutte des femmes des Premières Nations pour leur reconnaissance, pour devenir enfin « visibles ». « On entend parfois parler des hommes autochtones, des chefs des communautés, bien sûr, mais très peu des femmes. Nous voulions les faire connaître, elles, mais aussi exposer leurs projets et leur combat pour l’égalité et la justice. »

La réalisatrice a pris contact avec des Amérindiennes de différentes nations, et déroulé le fil qui les lie l’une à l’autre : leur besoin d’engagement et de communiquer avec d’autres femmes, de bâtir un réseau. « L’anthropologue Nicole O’Bomsawin, qui participe à notre documentaire, estime qu’il manque d’initiatives comme ce film, qui établissent des points de contact entre femmes autochtones, mais aussi avec les femmes non autochtones, nous permettant de mieux nous connaître. »

À ce titre, toutes celles qu’elle a rencontrées l’ont bien accueillie. Avant de tourner son film, elle a même séjourné dans une communauté attikamek, à Wemotaci, au nord de La Tuque. « J’ai passé du temps à échanger avec des femmes de plusieurs communautés qui m’ont fait connaître leur culture et m’ont fait confiance, car rien ne leur garantissait que je finirais mon film. L’expérience du tournage a été très touchante pour moi. J’ai vraiment été super bien reçue. »

Portraits croisés

Femmes invisibles et indivisibles donne donc la parole à des femmes de plusieurs nations, brossant un tableau en autant de portraits de citoyennes engagées : Nicole O’Bomsawin, née à Odanak dans une communauté abénaquise; Jacinthe Petiquay, vice-cheffe du conseil de bande de Wemotaci; Ellen Gabriel, présidente de Femmes autochtones
du Québec et mohawk; Viviane Michel, de la Maison communautaire Missinak, et sa codirectrice, Pénélope Guay, toutes deux innues; Les Femmes au tambour de Wendake, de la troupe huronne-wendat Andichan’ de Wendat. Aussi présentes dans ce film, les cinq chanteuses du groupe Odaya, qui vivent à Montréal et proviennent toutes de nations différentes. La réalisatrice les a rencontrées lors du festival Présence autochtone, qui se tient tous les étés au Québec. Les filles d’Odaya partagent des langues, des traditions, des chansons et, surtout, le besoin de se rassembler : les entendre chanter chacune dans sa langue traduit un message d’unité et de rapprochement avec les femmes de toutes les nations. Une habile métaphore du film. Sur ce même thème, Jacinthe Petiquay soulève dans le documentaire les ressemblances entre les femmes du monde. « J’ai été en Inde, où il y a beaucoup de pauvreté, comme chez nous, et les femmes veulent se prendre en main, comme nous.Quand j’étais là-bas, je ne me sentais pas du tout dépaysée. » Améliorer leurs conditions de vie, se faire respecter : voilà un combat que mènent les femmes de toute la planète.

Tabous levés

Dans Femmes invisibles et indivisibles, l’anthropologue Nicole O’Bomsawin, membre du Conseil de bande abénaquis jusqu’à l’automne dernier, raconte aussi son parcours semé de doutes. C’est une aînée, qu’elle décrit comme un modèle, qui l’a encouragée à se présenter en politique. Car c’est au Conseil de bande,autour de la table et aux côtés des hommes, que se prennent les décisions, témoigne-t-elle. Très loquace et imagée, elle soulève les enjeux cruciaux pour les femmes autochtones, parmi lesquels le tabou des violences faites aux femmes. Comme elle l’explique délicatement à la caméra, ce sujet a été difficile à aborder pour les Amérindiennes des diverses communautés. « Je trouve que Nicole exprime bien le conflit qui opposait hommes et femmes autochtones dans ce dossier, souligne Maude Marcaurelle. On comprend que les femmes ont dû se regrouper au sein de Femmes autochtones du Québec pour pouvoir dénoncer la violence conjugale, mais qu’au départ, ça a été mal perçu par les hommes, qui avaient l’impression d’être trahis. Cela ne faisait pas bonne presse, mais il fallait que les tabous éclatent. La violence est partout.» Mais aujourd’hui, souligne Nicole O’Bomsawin, ces hommes les soutiennent. Car si des femmes subissent de la violence, c’est que des hommes ont des problèmes, ajoute-t-elle subtilement.

Ce que démontre clairement le film, c’est à quel point les protagonistes croient au pouvoir de l’éducation, de la conscientisation. Un travail en profondeur qui consiste à instruire les femmes autant sur leur culture et la Loi sur la protection de la jeunesse que sur les risques liés au VIH/sida et l’histoire de la Loi sur les Indiens. Mme O’Bomsawin aborde un autre enjeu (et tabou) : la réinsertion des femmes après l’amendement C-31 qui, en 1985,modifiait la Loi sur les Indiens et permettait aux Amérindiennes ayant épousé un homme blanc de réintégrer leur communauté, de recouvrer leur statut et leurs droits ancestraux. À la fois émue et navrée, l’anthropologue avoue à la caméra le choc qu’elle a ressenti en entendant les hommes
autochtones appeler les femmes par le nom… « C-31 »! « Je leur disais : “Mais ce sont vos soeurs, vous ne pouvez pas faire ça!” Ça montre bien que l’on a beau modifier la loi, les mentalités mettent des années à changer! » fait-elle remarquer.

La force politique des symboles

Elle-même musicienne, Maude Marcaurelle évoque aussi l’imaginaire des Premières Nations par l’intermédiaire du tambour-chef, symbole de pouvoir et de hiérarchie. Elle capte des images étonnantes des Femmes au tambour de Wendake, que l’on voit danser et chanter, vêtues d’habits traditionnels, autour de cet objet sacré. « Je trouve leur démarche
très intéressante, car elles se sont approprié un symbole des Premières Nations qui était réservé aux hommes jusqu’à tout récemment. C’est une Mohawk qui a ouvert le bal : elle a reçu l’approbation du Conseil traditionnel mohawk après lui avoir expliqué pourquoi les femmes de sa nation voulaient aussi jouer de ce tambour-chef sacré. »
L’avancée a permis à d’autres femmes autochtones de revendiquer ce droit de « toucher » le tambour, aux côtés des hommes.

Le film est ponctué de danses et de chants souvent interprétés par les filles du groupe Odaya, par Les Femmes au tambour et par Nicole O’Bomsawin, qui joue aussi du tambour à main. « Cet instrument lui permet de retrouver ses racines, relate la réalisatrice. Il assure la connexion avec ses ancêtres,mais aussi avec les autres nations, car toutes jouent de cet instrument. Il porte quelque chose de sacré,mais c’est également un outil de communication. Le tambour renforce la solidarité entre les nations
autochtones. »

Est-ce un hasard? C’est la culture qui transmet la force des communautés, comme l’illustre la jeune nièce de Diane Andicha Picard, membre des Femmes au tambour. «C’est grâce à ce groupe de musiciennes que je suis fière d’être une femme des Premières Nations », affirme Joanie Picard au micro de Maude Marcaurelle. Une scène touchante, qui montre que le flambeau n’est pas près de s’éteindre.

C’est tout le mérite de ce film fait dans la plus grande simplicité : démontrer que la force tranquille peut provoquer d’énormes changements.

En complément d’info

  • Rencontres entre vous et nous. Entretiens avec des élues autochtones du Québec, une publication réalisée par le Groupe de travail des femmes élues de l’Assemblée des Premières Nations du Québec et du Labrador et le Conseil du statut de la femme. Site web du Conseil du statut de la femme