Aller directement au contenu

La politique de l’engagement

Autour d’un café, Liza Frulla et Véronique Fournier ont discuté d’un sujet qui les passionne : la politique.

Date de publication :

Auteur路e :

Autour d’un café, Liza Frulla et Véronique Fournier ont discuté d’un sujet qui les passionne : la politique. Aucun choc des générations, que des réflexions éclairantes.

Par un frisquet après-midi d’hiver, la Gazette des femmes a réuni deux politiciennes. L’une, dans la jeune soixantaine, a été plusieurs fois ministre au provincial, puis au fédéral, et commente aujourd’hui la scène politique à l’émission Le club des ex, à RDI. L’autre, à 31 ans, vient à peine de poser le pied dans l’arène en tant que conseillère à la Ville de Montréal. Liza Frulla et Véronique Fournier partagent deux choses : une passion pour la vie démocratique et un amour pour le sud-ouest de Montréal, que la première a représenté comme députée du Parti libéral du Québec et du Parti libéral du Canada, et que la seconde représente pour le parti Vision Montréal. En savourant un espresso, elles ont discuté de l’évolution de la situation des femmes en politique, des sacrifices inhérents à la vie de politicienne et des raisons de faire le saut dans ce milieu exigeant.

Gazette des femmes : Madame Frulla, comment la politique est-elle arrivée dans votre vie?

Je m’intéressais depuis toujours à la chose politique. Et comme par intuition, je disais qu’à 40 ans, j’allais faire de la politique. Trois jours après mon 40e anniversaire, le téléphone sonnait : Robert Bourassa me voulait dans son équipe. Jusque-là, j’avais été journaliste sportive, directrice du marketing de la brasserie Labatt, directrice de CKAC, et j’étais devenue directrice générale et vice-présidente de Télémédia. J’ai accepté son offre, par désir de faire ma petite différence dans mes domaines d’intérêt : la culture et les communications.

Madame Fournier, vous êtes travailleuse sociale, vous avez été impliquée dans le milieu communautaire, vous enseignez à l’UQAM et poursuivez des études à l’École nationale d’administration publique (ENAP). Pourquoi la politique?

Je crois beaucoup en l’importance des organisations de la société civile.Ce sont des acteurs majeurs qui animent les débats de société. Mais je crois aussi qu’investir les lieux de pouvoir est essentiel. Pour avoir voix au chapitre. Pour amener nos préoccupations là où les décisions se prennent. Ce que je fais maintenant est en continuité avec mes tâches de travailleuse sociale. Par exemple, récemment, on a beaucoup parlé des besoins des sans-abri par grand froid.En tant que politicienne, j’ai la possibilité de prendre des décisions, de faire accélérer la machine dans un dossier comme celui-là.

Madame Frulla, quand vous avez commencé à faire de la politique, il y a 20 ans, des femmes avaient déjà ouvert le chemin…

Oui. Il y avait eu les Marie-Claire Kirkland-Casgrain, Lise Bacon, Lise Payette…Les premières avaient connu l’époque où il n’y avait pas de toilettes pour femmes à l’Assemblée nationale. À mon arrivée en 1989, nous étions 13% de femmes au Parti libéral. Les partis commençaient à vouloir en recruter davantage. Au début parce que ça paraissait bien. Puis, de plus en plus, on leur a attribué des comtés gagnables. Lucien Bouchard a donné le ton en offrant des rôles d’importance à des femmes. Puis, Jean Charest est arrivé avec la parité au Conseil des ministres en 2007. Aujourd’hui, on a compris qu’on ne pouvait pas, dans un caucus, élaborer des politiques complètes sans l’apport des femmes. Du moins, c’est vrai au provincial et au municipal. Au fédéral, l’évolution se fait plus lentement.

À l’époque, sentiez-vous que vous faisiez partie du boys club?

M. Bourassa était un homme sensible et très respectueux. Avec lui, nous ne nous sommes jamais senties à part comme femmes. Mais sa garde rapprochée, hormis Mme Bacon, était composée de gars (je parle des conseillers non élus qui entourent un premier ministre). Cela n’a d’ailleurs pas beaucoup changé. La garde rapprochée des premiers ministres est encore composée d’hommes. Est-ce condamnable? Je ne sais pas. Peut-être que les hommes de plus de 50 ans sont simplement plus à l’aise entourés de conseillers masculins. Est-ce que ce sera la même chose avec la génération de Véronique?

V.F. : Ce sera intéressant à voir. Je sens que nous nous trouvons à un point tournant. Pendant la campagne électorale, des gens me disaient : « Wow, une fille en politique! »Moi, je pensais : «Revenons-en! » Reste que je vois encore beaucoup plus de gars que de filles en politique, dans les conseils d’administration, les mouvements étudiants… Toutefois, mon parti [Vision Montréal, dirigé par Louise Harel] fait exception. C’est l’un des partis municipaux québécois qui comptent le plus grand nombre de femmes élues, dont l’âge est par ailleurs très varié. Ma collègue Elsie Lefebvre est d’ailleurs la première femme vice-présidente du conseil de la Ville de Montréal. Dans mon arrondissement, nous sommes trois conseillères, unconseiller, un maire. Quand on travaille ensemble, gars et filles, on a beaucoup de plaisir et une belle complicité.

Quelles sont les exigences de la vie de politicienne?

V.F. On me demande parfois : « Et puis, comment aimes-tu ta nouvelle job? » Je ris parce que c’est pas mal plus qu’une job. C’est un engagement, presque un mariage! Pour le meilleur et pour le pire. C’est extrêmement exigeant. On travaille au moins 10 heures par jour.Dans la même journée, on traite mille sujets, on fait plusieurs rencontres, le travail est varié. On est des éponges; on apprend avec une rapidité impressionnante! Il faut être à l’écoute des gens, prendre les décisions les plus éclairées possible.Des décisions qui ne font pas toujours plaisir,même à nous! On ne sait jamais de quoi demain sera fait en politique. Mais c’est très stimulant. Ça me nourrit à 200%!

L.F. : Faire de la politique, c’est mettre sa vie entre parenthèses. C’était le cas il y a 20 ans, et cela n’a pas changé. On travaille tout le temps, ce n’est pas compliqué. C’est pour ça que je ne peux pas souffrir les gens qui ne font rien, qui ne vont même pas voter, et qui critiquent les politiciens. La vie politique est-elle compatible avec la maternité?

V.F. : Je n’ai pas d’enfants, mais certaines de mes collègues en ont. Elsie Lefebvre, justement, attend son deuxième. C’est possible d’être mère et politicienne, mais tu ne peux pas envisager la maternité comme une autre femme. Par exemple, c’est sûr que tu ne prendras pas un congé de maternité d’un an. Les citoyens t’ont élue, tu as des responsabilités. Quand nous siégeons le soir, nous avons l’obligation d’être là. Si ça finit à minuit, il est impossible de partir plus tôt parce que le bébé a mal aux dents…

L.F. : Ça prend un très bon réseau. Un conjoint prêt à prendre la responsabilité de la famille, des grands-parents pas loin. Quand tu fais de la politique, tu ne fais pas ça seule.Dans mon cas,mes parents et mon conjoint de l’époque ont été très présents pour mon fils, qui avait 16 ans quand je me suis lancée en politique. Je leur dois ma carrière, c’est clair.Cela dit, quand tu es mère, le palier municipal est sûrement le palier privilégié pour faire de la politique. Tu es très occupée,mais au moins, tu vas dormir à la maison tous les soirs. S’il y a une urgence familiale, tu es là.Ce n’est pas le cas quand tu sièges à Québec ou à Ottawa.

Madame Frulla, trouvez-vous que les choses ont beaucoup changé depuis 20 ans en politique?

La réalité politique reste la même et la nature du travail aussi. Ce qui change, c’est le contexte, les façons de faire. Les Blackberry sont entrés au parlement en 2003; en 2005, tout le monde était là-dessus. Maintenant, il y a les blogues, Facebook, Twitter.On est en communication tout le temps, le rythme s’est accéléré.

V.F. : C’est vrai! Si, par exemple, un communiqué de presse est diffusé à 13 h, on peut se faire poser des questions à son sujet 10 minutes plus tard. On ne peut pas dire : « Je ne l’ai pas reçu. » Il faut suivre le tempo!