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Quand les femmes prennent le bois

Un film de chasse de filles : Julie Lambert pose sa caméra dans l’univers de quatre chasseuses.

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Auteur路e :  et 

Dans son premier long métrage documentaire, Julie Lambert écarte les branchages pour nous révéler une réalité peu connue : l’intérêt grandissant des femmes pour la chasse. Bienvenue dans Un film de chasse de filles.

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En lien avec l’Agenda 21C du Québec, la Gazette des femmes propose une série d’articles mettant en valeur l’apport culturel de femmes au développement régional. Cette troisième parution de la série nous vient de Québec.

Le silence. Puis un coup de feu. « C’est normal qu’on y aille à la chasse. Quand tu mets tes bottes de chasse, pis que tu montes là-bas, c’est “de moi à moi”. C’est rare que tu peux faire ça, hein? »

Ces paroles, prononcées par Florence, 72 ans, sont les premières d’Un film de chasse de filles. Un long métrage documentaire dans lequel la réalisatrice Julie Lambert nous présente quatre Québécoises qui pratiquent toutes la chasse au gros gibier. Longtemps réservée aux hommes, cette activité est de plus en plus prisée par les femmes de tout âge. La jeune cinéaste porte un regard non stéréotypé sur cette pratique peu banale, invitant même les cinéphiles à expérimenter la chasse. La nature, les paysages, les personnages : tout devient prétexte à vivre l’expérience.

C’est lors d’un voyage en Abitibi que Julie Lambert s’intéresse à la chasse au féminin. En prenant connaissance d’une simple liste d’inscriptions à un cours de chasse, elle constate que la moitié des personnes inscrites sont des femmes. Il n’en faut pas plus pour piquer sa curiosité et l’amener à se documenter sur le phénomène. Selon les statistiques de la Fédération québécoise des chasseurs et pêcheurs, en 2002, les femmes représentaient 18,5 % des inscrits aux cours d’initiation à la chasse avec arme à feu. En 2011, ce chiffre était passé à plus de 25 %.

Parler de chasse au féminin ne laisse personne indifférent. La cinéaste explique : « Autant les gars que les filles ne pensent pas que des filles vont à la chasse. Ce n’est pas très connu. Au Québec, il n’y a pas encore de regroupements de chasseuses. »

Quatre chasseuses, quatre personnalités

Un film de chasse de filles trace le portrait de chasseuses issues de divers milieux et générations. Il y a d’abord Mégan, 14 ans, qui a été initiée à la chasse par son père. Déterminée, elle est la seule de son âge à pratiquer cette activité dans son entourage. Ensuite, il y a Florence, 72 ans. Selon la réalisatrice, « elle vient d’une autre époque ». Indépendante, elle chasse seule depuis plus de 30 ans. Avec humour, Florence confiera à un moment du film : « Un gars, lui, quand il tue un chevreuil, c’est toujours un mâle, c’est toujours les cornes, c’est toujours plus qu’une madame. Ça va faire les moteurs! » Sur les sentiers, elle amène en pensée son défunt mari, en guise de talisman. Puis, il y a Hélène, 50 ans. Julie l’a rencontrée au programme Fauniquement femme de la Fédération québécoise des chasseurs et pêcheurs, où elle est animatrice au tir à l’arc. Elle milite pour que les femmes prennent leur place à la chasse et en initie plusieurs par année. Elle en fait une mission. « Hélène a ouvert beaucoup de portes », souligne la réalisatrice. Enfin, il y a Jannie, 29 ans. Elle a tiré son premier chevreuil à l’arc à l’âge de 12 ans. Toutes ont en commun la transmission familiale de la pratique de la chasse, ayant été initiées soit par leur père, soit par leur mère.

Photographie de Julie Lambert, réalisatrice du film.

« C’est un film de peu de mots. J’ai voulu faire comprendre au public pourquoi les yeux de ces femmes brillent lorsqu’elles prennent le bois. »

— Julie Lambert, réalisatrice d’Un film de chasse de filles

Elles chassent pour manger, bien sûr. Mais elles n’entretiennent pas toutes le même rapport entre l’acte même de chasser et l’idée de consommer la viande provenant des prises. « La plus vieille, Florence, quand elle tue, elle pleure et attend trois mois avant de manger la viande. Alors que la jeune Mégan, elle la voit déjà dans son assiette », raconte la réalisatrice. L’adolescente a d’ailleurs amené Julie à remettre en question ses perceptions. « Mégan m’a fait la leçon. Avec ses remarques, elle m’a brassée dans mes préjugés, dans mes peurs. “Ton poulet à l’épicerie, il vient d’où? m’a-t-elle demandé. Il y a quelqu’un qui l’a tué. Tu as plus le droit de le manger, ton poulet? Moi j’aime mieux la bouffe que j’ai tuée. Tsé, t’as plus le droit de la manger, je trouve.” »

Troquer la caméra contre un fusil

Dans Un film de chasse de filles, la réalisatrice se prête elle-même au jeu et devient le cinquième personnage. « Je trouvais l’identification du spectateur importante pour ce film. » Ne faisant pas les choses à demi, elle suit une formation afin d’apprendre les techniques et d’acquérir les connaissances qui lui permettront de vivre sa première partie de chasse. Julie se lance, la caméra à sa suite. La première bête qu’elle voit mourir, c’est Mégan qui la tue. « Je ne savais pas comment j’allais réagir. J’avais peur, sur le plan personnel, des étapes qui suivent, dont celle d’ouvrir l’animal. Je craignais de trouver ça difficile. Finalement, grâce à ma préparation, j’étais prête. »

Photographie d’Hélène.
Un film de chasse de filles trace le portrait de chasseuses issues de divers milieux et générations. Ici, Hélène, 50 ans. Elle milite pour que les femmes prennent leur place à la chasse et en initie plusieurs par année. Elle en fait une mission.

Puis vient son tour. Un récit qu’elle ponctue d’émotions mitigées. « Il y a beaucoup de gens qui disent que la chasse, c’est l’fun jusqu’à ce que tu tires. » Une fois son animal touché, l’aventure commence à peine pour Julie, qui s’engage dans une longue et pénible recherche pour retrouver le chevreuil atteint qui s’enfonce dans les bois. Elle traverse alors, selon elle, les 90 minutes les plus longues de son existence. « Je m’en serais voulu toute ma vie de ne pas le retrouver, de ne pas être allée jusqu’au bout du processus. » Ayant remarqué que la plupart des films sur la chasse portent sur la capture, sur le fait de tuer, elle décide plutôt d’amener dans son long métrage un regard différent, orienté sur l’attente. Sur la réalité. « Je suis sortie de là contente. Pour moi, c’était la fin d’un apprentissage. On avait une récolte. Ça avait un sens. »

Un film de chasse féministe?

Tout compte fait, en quoi Un film de chasse de filles est-il différent d’un film de chasse de gars? « Comment? Hé! C’est une bonne question… » s’exclame Julie. Consciente des couleurs féministes que revêt le documentaire, elle affirme pourtant que sa motivation première n’était pas de faire un topo féministe, mais surtout « un film sur un état, sur une situation qui se vit au Québec, en ce moment ». D’ailleurs, alors que les images captées pour ce documentaire proviennent des quatre coins de la province, la réalisatrice a pris le parti de n’identifier aucun lieu. Son intention? « Faire en sorte que ce soit un film québécois. » Point. Et son film, elle a bien l’intention de le faire vivre en région. Puis ailleurs aussi. « J’ai hâte de voir comment la perception envers les chasseuses va avoir évolué dans une quinzaine d’années. Parce qu’il y a encore plein de préjugés. »

Photographie de Mégan.

« Avec ses remarques, [Mégan] m’a brassée dans mes préjugés, dans mes peurs. “Ton poulet à l’épicerie, il vient d’où? m’a-t-elle demandé. Il y a quelqu’un qui l’a tué. Tu as plus le droit de le manger, ton poulet? »

— Julie Lambert, réalisatrice d’Un film de chasse de filles

À travers ses quatre « filles », Julie a choisi de mettre l’accent sur les émotions. « C’est un film de peu de mots. J’ai voulu faire comprendre au public pourquoi les yeux de ces femmes brillent lorsqu’elles prennent le bois. »

Première du film le samedi 20 septembre au Palais Montcalm à l’occasion du Festival de cinéma de la ville de Québec.

Zoom sur un parcours

Artiste multidisciplinaire et auteure de plusieurs courts métrages documentaires, Julie Lambert signe son premier long métrage avec Un film de chasse de filles. Pour elle, « être une femme réalisatrice [silence], c’est l’fun [rire] »! Elle qualifie son métier de « réelle bataille, de défi pour lequel il faut travailler très, très fort ». Néanmoins, même si les hommes occupent en plus grand nombre la sphère cinématographique, elle assure n’avoir jamais eu de difficulté à faire sa place. « On y arrive, même si on est moins nombreuses. » Elle constate que, par opposition à la fiction, « le documentaire est la partie plus féminine du cinéma », précisant tout de même que de plus en plus de femmes se démarquent dans d’autres types de productions.