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Moi, mes cheveux ont beaucoup écopé

Et si on mettait fin aux pressions de défriser, teindre ou coiffer?

Date de publication :

Sujet trivial, les cheveux? Pas lorsqu’ils s’éloignent de l’idéal de beauté occidental. On leur fait alors subir diverses tortures, entre teinture et défrisant. Revirement : de plus en plus de femmes à la tête crépue ou grisonnante disent non aux traitements lourds et retrouvent leur crinière au naturel. Récit d’un voyage au centre d’elles-mêmes.

Photographie de Abisara Machold.

Abisara Machold, propriétaire du salon de coiffure inHAIRitance, a ouvert son commerce lorsqu’elle a découvert en arrivant à Montréal le peu de produits pour les cheveux crépus disponibles sur le marché québécois.

« J’ai grandi en Autriche. Quand j’étais petite, je trouvais mes cheveux bizarres. Contrairement à ceux des autres enfants, ils ne tombaient pas, ils poussaient par en haut! » Pendant qu’Abisara Machold décrit son désir d’enfant de cheveux longs, blonds, dociles et soyeux, la quinzaine de femmes noires venues l’entendre acquiescent en silence. Ces jeunes mères ont amené leurs filles, qui colorent gaiement des images de Barbie crépue fournies par les organisatrices.

Réunies à la Bibliothèque de Saint-Michel à Montréal, elles participent à un atelier organisé par FRO (Les fondations reposent sur les origines) et le Comité international pour la promotion du créole et de l’alphabétisation. Elles sont venues apprendre à s’occuper de leur chevelure et de celle de leurs petites, au naturel. L’information à ce sujet est si rare, disent-elles.

Abisara Machold est propriétaire d’inHAIRitance, l’un des seuls salons réservés aux cheveux frisés au naturel dans la métropole. Elle accueille surtout une clientèle noire, mais pas seulement, car les cheveux frisent chez toutes les nationalités. Arrivée il y a trois ans au pays, cette diplômée en histoire pensait trouver facilement des produits pour ses bouclettes. Erreur. Elle a donc ouvert sa propre boîte.

Photographie de Vanessa Pierre-Louis, blogueuse.
« Lorsque j’ai pris la décision de garder [mes cheveux] tels quels, j’ai eu à défaire certains mythes dans ma famille. »
 — Vanessa Pierre-Louis, blogueuse

« C’est important pour moi de transmettre l’acceptation de soi à mes deux enfants, affirme la blogueuse Vanessa Pierre-Louis, qui participe à l’atelier. J’ai les cheveux crépus, ce qui n’était pas valorisé dans mon enfance. Comme je suis d’origine haïtienne, une population plutôt métissée, ma mère a les cheveux raides. Lorsque j’ai pris la décision de garder les miens tels quels, j’ai eu à défaire certains mythes dans ma famille. J’ai dû expliquer, entre autres, qu’il n’existait pas de “bons” ou de “mauvais” cheveux. » Cette histoire se répète parmi les femmes réunies, dont certaines ont reçu leur premier traitement défrisant à 8 ans!

La pression de défriser est immense pour les Noires. Presque toute la cosmétique du cheveu africain s’emploie à raidir (ou à en donner l’illusion), à grand renfort de permanentes toxiques ou de perruques et rallonges de cheveux asiatiques. Ce marché de plusieurs milliards de dollars est la conséquence d’années de colonisation, dénoncent l’acteur Chris Rock dans le documentaire Good Hair (2009) ainsi que la sociologue antillaise Juliette Sméralda. « À La Nouvelle-Orléans, au 19e siècle, l’afro était interdit par la loi. Aujourd’hui, garder ses cheveux frisés est vu comme un faux pas professionnel. Cette perception est liée aux années d’esclavage. Ces images ont été intégrées par la communauté noire et sont maintenant dans nos têtes plus que dans les têtes des Blancs », se désole Abisara Machold.

Gris honni

Chez les femmes qui vieillissent, qu’importe leurs origines, les passions se déchaînent aussi lorsqu’elles parlent crinière. La rédaction du magazine Châtelaine l’a appris en 2012. « Ma collègue Louise Gendron a effectué un sondage auprès des lectrices sur l’avenir de ses cheveux grisonnants. En a résulté un débat des plus animés sur notre site Web », explique la rédactrice Marianne Prairie, qui montre elle-même chaque mois sur photo sa belle et authentique cascade poivre et sel dans ce magazine très lu au Québec. « J’ai 31 ans et mes cheveux blancs ne me nuisent pas, au contraire! Ils me permettent de me démarquer. On me demande sans cesse qui s’occupe de ma teinture… » raconte celle qui s’interroge toutefois sur son éventuelle envie de les camoufler lorsque son visage portera des signes de vieillesse.

Photographie de Marianne Prairie.
« J’ai 31 ans et mes cheveux blancs ne me nuisent pas, au contraire! Ils me permettent de me démarquer. On me demande sans cesse qui s’occupe de ma teinture… »
 — Marianne Prairie, rédactrice au magazine Châtelaine

« Ça prend un certain courage pour s’afficher avec sa tête blanche, note Michèle Charpentier, professeure en gérontologie sociale à l’UQÀM. Peut-être est-ce en train de changer, mais les cheveux blancs restent, avec les rides, le marqueur principal de l’âge et du fait d’être perçu comme une personne âgée. » Si ceux et celles qui vieillissent disposent désormais d’une grande liberté dans leur parcours, leurs choix s’inscrivent au sein d’une société antivieux, où les normes de jeunesse, de minceur et de beauté sont particulièrement contraignantes pour les femmes, affirme la chercheuse. « Certaines n’ont pas le choix de se teindre, car elles travaillent dans un milieu où leurs cheveux gris constituent un frein à leur carrière, par exemple dans les médias électroniques. »

Photographie de Michèle Charpentier.
« Ça prend un certain courage pour s’afficher avec sa tête blanche… »
 — Michèle Charpentier, professeure de gérontologie sociale à l’UQÀM

Fortes têtes

La filiation et la culture figurent au cœur de la décision capillaire des femmes noires et « naturelles » rencontrées. Surprise : les grisonnantes tiennent le même discours. « Ma mère m’a eue sur le tard, à 43 ans. C’était une belle femme aux cheveux blancs; je l’ai toujours connue comme ça. La teinture existait à l’époque, mais c’était sa marque de commerce, et c’est devenu la mienne. Ma mère était un peu marginale et moi aussi, j’ai un petit côté délinquant! » explique Odette Bélanger, une professionnelle de 56 ans. Cette femme au caractère bien trempé affiche fièrement ses cheveux courts et blancs, parsemés de fines mèches noires.

Photographie de Jacynthe Connolly.
Jacynthe Connolly est fière de ses longs cheveux poivre et sel qui lui descendent aux fesses ; surtout depuis que sa culture innue se voit revalorisée et qu’elle danse dans les pow-wow.

L’Innue Jacynthe Connolly est agente d’intervention sociale auprès des anciens pensionnaires à Mashteuiatsh. Ses longs cheveux poivre et sel lui descendent aux fesses; elle les porte en tresse ou en couette. « J’ai 55 ans et autour de moi, les femmes de mon âge n’ont pratiquement aucun cheveu blanc. Je pense qu’elles trichent un peu, pas mal! » lance-t-elle en riant. Ses cheveux sont une source de fierté, surtout depuis que sa culture se voit revalorisée et que Jacynthe danse dans les pow-wow.

Marianne Prairie a les cheveux de son père. Elle souhaite maintenant montrer l’exemple à ses filles. Un exemple d’autonomie et d’indépendance d’esprit qui inclut l’acceptation de sa chevelure. C’est nécessaire, surtout qu’entre princesses et chanteuses, l’univers ludique proposé aux petites montre une vision uniforme de la beauté et de la réussite, dit-elle.

Traitements à faire dresser les cheveux

Au milieu du siècle dernier, les religieux des pensionnats autochtones canadiens coupaient court les longs cheveux des filles et des garçons, et les enduisaient à la première douche de poudre antipoux, rappelle Jacynthe Connolly. Il y a deux mois, la petite Tiana Parker, 7 ans, a été renvoyée de son école de Tulsa en Oklahoma parce que ses cheveux naturels ne correspondaient pas au code vestimentaire, qui interdit les rastas et l’afro. Aujourd’hui, les fillettes d’Amérique du Nord ont joué avec des Barbie blondes, rousses, brunes ou noires aux cheveux raides. Très rarement, ces poupées sont crépues, ou châtaines — une couleur pourtant commune chez les Caucasiens.

En 1991, l’auteure féministe américaine Naomi Wolf publiait le fameux The Beauty Myth. Elle y dénonçait un climat social qui prônait des normes de beauté poussant les femmes à la haine d’elles-mêmes. La situation a-t-elle changé en 2014? Le chiffre d’affaires combiné des membres de l’Association canadienne des cosmétiques, produits de toilette et parfums donne un indice : 9,4 milliards de dollars en 2011. La science aussi fournit des pistes. En 2012, les auteurs d’une étude parue dans l’International Journal of Dermatology se réjouissaient d’avoir identifié cinq maladies (dont le sida et la tuberculose pulmonaire) qui rendent le cheveu africain soyeux. Une avancée importante pour la compréhension de la structure de ce cheveu, se vantaient-ils. Et les gens de 40 ans seront ravis d’apprendre qu’il existe maintenant une gamme de traitements préventifs dite « médecine antiâge » qui leur est destinée, allant du traitement des rides aux conseils en nutrition.

Photographie de Odette Bélanger.
Comme sa mère, Odette Bélanger, professionnelle, a joué de son petit côté délinquant et a mis fin à la teinture!

Les femmes interviewées se sont toutes déjà battues contre leur tignasse *. Odette Bélanger a teint ses cheveux de 30 à 42 ans. Ce serait maintenant l’équivalent d’une « job à temps plein ». « La texture du cheveu change et devient poreuse quand on vieillit, il faut aller au salon toutes les deux ou trois semaines. La teinture abîme la chevelure. La plupart des femmes de mon âge se font teindre. Soyons honnêtes, lorsqu’elles sont “dues pour y aller”, c’est vraiment laid! » Plus jeune, Jacynthe Connolly a tenté de friser ses cheveux; sa permanente maison ratée a fini en coupe à la garçonne. À 17 ans, la slameuse et fondatrice de FRO Berekia Yergeau (alias BereKYah) a visité l’urgence à cause d’une permanente visant à défriser sa crinière. « Le fond de ma tête a brûlé et le médecin m’a dit que j’allais perdre la moitié de mes cheveux. » Les interviewées ont fini par adopter un rituel beauté qui correspond à leur identité, plutôt que de tenter de la conformer à l’étroite fenêtre des standards de beauté.

À la Bibliothèque de Saint-Michel, les mères démêlent la tignasse frisée de leurs enfants avec leurs doigts, suivant les instructions d’Abisara Machold. « Tu vois, au début, les petites ne voulaient pas s’asseoir pour se faire coiffer, fait remarquer Berekia Yergeau. Là, elles ne bougent pas, parce que le procédé ne fait pas mal. Pour plusieurs, c’est sans doute la première fois. »

  • * L’auteure de ces lignes a longtemps tenté de faire croire qu’elle était rousse, avant d’accepter sa chevelure simplement châtaine.

Les hommes aussi

De Clint Eastwood à George Clooney, en passant par Roy Dupuis, on considère que les hommes gagnent en maturité et en expérience lorsqu’ils avancent en âge. Un privilège social auquel les femmes n’ont pas droit. La génération des baby-boomers va-t-elle modifier la donne? Dans les dernières années, une vaste gamme de soins dits antiâge pour hommes est apparue, y compris des teintures, note la chercheuse Michèle Charpentier. « J’effectue une recherche sur les immigrantes, et plusieurs m’ont dit qu’elles considèrent le fait de vieillir comme un privilège. Nous, on a plutôt tendance à se battre contre le vieillissement. Nous ne sommes pas très affranchies à ce sujet, et les hommes tendent à nous rejoindre plutôt que le contraire. »