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Mon papa est féministe

Des papas présents et alliés des féministes. Des papas qui prônent des valeurs égalitaires.

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Le modèle du papa simple pourvoyeur est-il en voie d’extinction? Au Québec, les trois quarts des pères prennent un congé parental. Et bien qu’on note toujours un écart entre les mères et les pères en matière de temps consacré à la famille et au travail domestique, la participation des papas est en hausse. Sans compter qu’ils sont plus nombreux à avoir à cœur les droits des femmes et l’égalité. Les pères d’aujourd’hui : alliés des petites féministes de demain?

Photographie de Mathieu Boily et son bébé.
« L’égalité ne se vit pas uniquement par les paroles et les idées : il faut savoir en incarner les concepts.  »
 — Mathieu Boily, père de 37 ans qui a pris un congé parental de 18 mois et qui se définit comme un parent égalitaire.

À la naissance d’Eliott, son deuxième garçon, Mathieu Boily a pris un long congé parental : 18 mois! Une rareté chez les mères. Et une anomalie chez les pères québécois qui, dans plus de 50 % des cas, ne profitent pas du temps d’arrêt auquel ils ont droit.

« Choisir d’avoir des enfants, pour moi, ça voulait dire passer du temps avec eux dans leur toute petite enfance. Prendre de deux à cinq semaines de congé, c’était impensable », raconte le travailleur communautaire dont les fils sont maintenant âgés de 2 et 7 ans. Les réactions de son entourage ont été un peu « complaisantes », comme s’il était naturel pour une mère d’être à la maison, mais que pour un père, cela relevait d’un exploit extraordinaire. « Notre société est ancrée dans le sexisme, les stéréotypes, le clivage des rôles parentaux. Atteindre l’égalité, ça passe par la fin de ce clivage. »

Dans l’action

Photographie de Raymond Villeneuve.
Raymond Villeneuve, directeur du Regroupement pour la valorisation de la paternité, croit profondément que les parents égalitaires font de meilleurs enfants.

Ce père de 37 ans se définit comme un parent égalitaire. Et, selon lui, l’égalité ne se vit pas uniquement par les paroles et les idées : il faut savoir en incarner les concepts. C’est aussi l’avis des spécialistes interviewés pour cet article. Un père qui transmet des valeurs égalitaires le fait avant tout en agissant, concrètement, au jour le jour.

« C’est bien beau les discours, mais ce qui compte, c’est l’action, affirme Raymond Villeneuve, directeur du Regroupement pour la valorisation de la paternité. Partage des tâches, implication dans l’éducation et les soins : il faut être présent dans toutes les sphères de la vie de famille pour transmettre des valeurs égalitaires à nos garçons et à nos filles. »

Pour Chiara Piazzesi, professeure de sociologie à l’UQÀM, il arrive toutefois que pratiques quotidiennes et paroles soient en décalage. « Certains hommes et femmes croient vivre selon des principes d’égalité, mais leurs comportements sont en opposition totale par rapport à ce qu’ils prônent. Les enfants finissent par intérioriser des arrangements pratiques pas du tout égalitaires, qui ne font que perpétuer les vieux stéréotypes et les attributions de tâches selon les sexes. Est-ce qu’on suppose qu’une femme est née avec les instructions de la laveuse, ou que l’homme connaît naturellement la plomberie, les voitures? Est-ce que la fatigue et le stress sont considérés de manière égalitaire chez un père et une mère? Et le désir de temps pour soi? »

Les rôles égalitaires doivent toujours être remis à l’avant-plan, estime-t-elle. « Personne n’incarne parfaitement un principe d’égalité. C’est une chose sur laquelle il faut continuellement travailler, qu’on ne peut pas tenir pour acquise et qui ne se règle pas en créant une famille. C’est coûteux en énergie pour un couple, mais ça produit des résultats. »

Des mœurs qui évoluent?

Les statistiques canadiennes démontrent que les hommes consacrent moins d’heures que leur conjointe aux soins des enfants. Mais Raymond Villeneuve tient à souligner que certaines tendances, rapportées par les données 2010 de Statistique Canda, sont positives. « On remarque que chez les 20 à 29 ans, l’écart n’est plus que de 0,4 heure par semaine. Il y a clairement quelque chose de générationnel dans ce partage des tâches », affirme-t-il, voyant là le signe encourageant que les jeunes familles intègrent mieux certaines pratiques égalitaires.

Photographie de Daniel Chamberland et sa fille.
Daniel Chamberland réfléchit à l’influence qu’il aura sur ses trois filles âgées de 3 à 8 ans et croit fermement que les valeurs féministes qu’il leur transmettra auront une influence certaine sur elles.

Daniel Chamberland, 30 ans, apporte un autre son de cloche. S’il reconnaît que certains pères de sa génération semblent plus impliqués qu’à l’époque de la naissance de son aînée, il y a huit ans, il remarque autour de lui des « faux papas égaux  ». « Le père accepte de faire une tâche, mais en échange, il accumule une sorte de récompense, ce que j’appelle – comme plusieurs – des “air lousses”. Je pensais que ce modèle allait disparaître, mais j’en vois encore beaucoup. »

Faudrait-il laisser plus d’années encore aux pères afin qu’ils développent des attitudes égalitaires? Pour Chiara Piazzesi, les femmes ont une certaine longueur d’avance dans la redéfinition de leur rôle parental. « Leur avantage : elles ont un patrimoine de compréhension et d’outils, non pas seulement individuels, mais collectifs, pour penser la différence de genre, pour s’engager à modifier les comportements qui ne se conforment pas aux principes d’égalité. Les hommes sont sûrement moins outillés pour faire ça, car la réflexion sur la manière de les impliquer dans la promotion de l’égalité est assez récente. »

Le poids des mots

Père de trois filles âgées de 3 à 8 ans, Daniel Chamberland commence déjà à réfléchir à l’influence qu’il aura dans le développement de leur pensée, dans leur apprentissage des valeurs féministes. « C’est une grande préoccupation pour moi, car j’ai l’impression qu’un retour en arrière s’opère pour les femmes, notamment en ce qui a trait à l’hypersexualisation, une vraie plaie dans notre société. Ça me fait un peu peur. Je dois les outiller adéquatement. »

Il est un peu embêté quand on lui demande si ses propos auront plus de poids, auprès de ses enfants, que ceux de leur mère. Après réflexion, il concède : « Je vais avoir l’air sexiste, mais je dirais que oui. En démontrant que moi, comme homme, je respecte les femmes, qui sont mes égales, je pense que ça peut leur apporter un point de vue différent. »

Selon Chiara Piazzesi, il ne fait aucun doute que l’apport du père dans un discours familial égalitaire a beaucoup d’influence. « Chaque fois qu’un homme critique les messages sexistes, par exemple, il peut avoir plus d’impact. On se dit que c’est normal pour une femme de le faire, car elle est solidaire. Mais c’est moins courant pour un homme. »

À la source

Photographie de Chiara Piazzesi.
Chiara Piazzesi, professeure de sociologie à l’UQÀM, est convaincue que l’apport du père dans un discours familial dans l’intérêt de l’égalité a beaucoup de poids et que les rôles égalitaires doivent toujours être remis à l’avant-plan.

Mathieu Boily, lui, tente de s’élever contre les stéréotypes qui minent les enfants eux-mêmes. «Je suis né en 1976 et j’ai l’impression qu’à certains égards, les stéréotypes sont encore plus présents aujourd’hui que dans mon enfance. Pensons seulement aux jouets ou aux vêtements pour enfants : tout est tellement ancré dans le genre, il n’y a pas de place pour la diversité. Et si nos enfants n’adhèrent pas à ces stéréotypes, ils risquent d’être marginalisés. »

Dans son blogue Feminist Fatherhood, l’Américain Tyler Osterhaus énumère les 10 grands principes permettant de vivre une paternité féministe. Parmi eux : « Soyez conscients de vos privilèges d’homme et de la manière dont le patriarcat vous affecte comme père et comme conjoint. Traitez vos filles et vos garçons également, sans double standard de genre. Confrontez les autres hommes à propos de leurs comportements sexistes. »

La question brûle les lèvres : les parents égalitaires feraient-ils… de meilleurs enfants? « Je ne suis pas un expert, mais je crois profondément que oui, répond Raymond Villeneuve, père d’une fille de 15 ans et d’un garçon de 17 ans. Entre autres bénéfices, mes enfants pourront avoir des relations d’égal à égal avec les autres. Je veux que ma fille puisse avoir les mêmes possibilités que mon garçon. Et que celui-ci ait les rapports les plus intéressants avec les femmes qu’il croisera. »