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Femmes et sport : rebonds vers la victoire

Présence des femmes dans le sport. Batailles d’hier et d’aujourd’hui.

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Grande première : à Sotchi, les femmes pourront participer au saut à ski, une épreuve inscrite au programme des Jeux olympiques d’hiver depuis 1924. Ce gain s’ajoute aux nombreuses batailles qu’ont remportées les femmes dans le monde du sport. Dans Pour celles qui suivront. 50 ans d’histoire de femmes en sport au Canada, la Société d’histoire féministe a réuni les témoignages d’une quarantaine d’athlètes, d’entraîneuses et d’universitaires qui ont contribué à briser les barrières. Tableau d’honneur.

Dans l’introduction de Pour celles qui suivront. 50 ans d’histoire de femmes en sport au Canada, Guylaine Demers, PhD, professeure au département d’éducation physique de l’Université Laval, se souvient du moment où elle a pris conscience des iniquités entre les garçons et les filles. C’était en 1971, elle avait 7 ans. « Mes frères jouaient au hockey, pas moi… parce que j’étais une fille, écrit-elle. J’étais passionnée et j’excellais dans ce sport, mais la place des filles était dans les estrades. » Celle qui a finalement jeté son dévolu sur le basketball apprécie la mesure du chemin parcouru depuis. « Si jamais une de mes nièces jouait au hockey, la question qu’elle se poserait serait “Où vais-je jouer” et non pas “Pourquoi est-ce qu’il n’y a pas d’équipes de filles” », poursuit-elle.

Photographie de Guylaine Demers.
« C’est comme si chaque fois que nous, les filles, on obtient quelque chose, on l’enlevait aux gars. C’est culturel : c’est un peu par le sport que les garçons apprennent à être de vrais gars. »
 — Guylaine Demers, PhD, professeure au département d’éducation physique de l’Université Laval

Pour Guylaine Demers, les fillettes d’aujourd’hui et celles qui suivront sont redevables aux pionnières qui se sont battues pour ouvrir des portes et dénoncer des injustices. « C’était important qu’elles racontent leur histoire », dit celle qui a codirigé la publication de l’ouvrage.

Des gars manqués?

Dans les années 1990, Keri Cress a été choquée d’apprendre qu’elle ne pouvait pas participer aux sélections des gardiens de but de l’équipe de hockey de son école secondaire de Winnipeg. Avec l’appui d’un professeur, elle a finalement pu faire partie de l’équipe masculine, puisque l’école n’avait pas, à l’époque, l’intention de créer une équipe féminine. Lorsqu’elle a avoué son malaise à fréquenter le vestiaire de ses confrères masculins, son entraîneur a rétorqué : « Si tu veux jouer avec les gars, tu te changes avec les gars. »

Même si son ancienne école a maintenant son équipe féminine, la gardienne de but rencontre toujours des gens étonnés de la voir jouer au hockey. La participation des femmes à des sports comme le hockey dérange, confirme Guylaine Demers. « C’est comme si chaque fois que nous, les filles, on obtient quelque chose, on l’enlevait aux gars. C’est culturel : c’est un peu par le sport que les garçons apprennent à être de vrais gars. »

Tomboy, garçon manqué, lesbienne : voilà comment sont décrites celles qui courent, sautent, lancent, déjouent, suent. Jusqu’aux Jeux d’Atlanta en 1996, les femmes devaient même réussir un test de féminité pour se qualifier aux épreuves féminines. Aux Jeux d’été de Montréal en 1976, les membres de l’équipe d’aviron de Sandra Kirby ont dû donner leurs mensurations et fournir un échantillon de salive pour obtenir leur « carte de féminité ». « Je n’aurais jamais pensé que pour participer à des épreuves féminines, je devrais prouver que je suis une femme », note Sandra Kirby. Celle qui était plutôt considérée comme une tomboy par son entourage a souvent ri de cette exigence.

Carence d’entraîneuses

Si la participation des femmes au sport de haut niveau a considérablement évolué, elles demeurent minoritaires dans les postes de leadership. Au Québec, en 2007, il n’y avait que 14 % de femmes parmi les entraîneurs. Les femmes forment aussi seulement 25 % des conseils d’administration des fédérations sportives, en comptant les secrétaires et les trésorières, qui représentent presque la moitié des membres féminins.

Photographie de Sylvie Béliveau.
« Après toutes ces années, ma déception est de constater que si mes réalisations avaient pour but de tracer la route pour d’autres femmes, il est évident qu’il y a échec. »
 — Sylvie Béliveau, administratrice de la Fédération internationale de football association (FIFA) et première femme à diriger l’équipe nationale à la Coupe du monde de soccer (1995)

Sylvie Béliveau a été la première femme à diriger l’équipe nationale à la Coupe du monde de soccer de 1995. Elle reste aujourd’hui l’une des seules administratrices de la Fédération internationale de football association (FIFA). Dans Pour celles qui suivront, elle fait le récit de ses 32 ans dans le milieu. « Après toutes ces années, ma déception est de constater que si mes réalisations avaient pour but de tracer la route pour d’autres femmes, il est évident qu’il y a échec. »

Ce n’est pas que les femmes manquent d’intérêt ou de compétences, souligne Guylaine Demers. « Souvent, elles ne sont même pas au courant de l’existence des postes de leadership vacants. Les hommes se recrutent entre eux, par des réseaux informels », explique-t-elle en entrevue. Les femmes du domaine sportif ont aussi de la difficulté à concilier travail et responsabilités familiales, à cause des horaires atypiques des entraînements ainsi que des voyages qu’impliquent les compétitions.

Des désavantages de la douceur

À cause de leur leadership différent de celui de leurs collègues masculins, plusieurs entraîneuses ont eu la vie dure, à commencer par Linda Marquis, qui a entraîné Guylaine Demers alors qu’elle était cocapitaine de l’équipe de basketball Rouge et Or de l’Université Laval au milieu des années 1980. « On la trouvait trop douce, pas assez directive, elle ne criait jamais après nous! Bref, on ne reconnaissait pas les comportements qu’avaient adoptés nos anciens entraîneurs avec nous, tous des hommes », écrit-elle. À l’époque, Guylaine Demers lui a même demandé de démontrer plus de poigne. Elle est aujourd’hui bien heureuse que son entraîneuse n’ait pas tenu compte de ses récriminations.

En août dernier, Linda Marquis a entrepris sa 29e année à titre d’entraîneuse-chef de l’équipe de basketball Rouge et Or. Guylaine Demers estime que ce sont sa carapace et sa volonté d’aider les jeunes femmes à se faire confiance qui expliquent qu’elle soit demeurée dans ce milieu masculin. « Au fil des ans, elle a remarqué à quel point les jeunes femmes dans la vingtaine ne se sentent pas belles, pas bonnes et incapables, raconte-t-elle dans le livre. Il est devenu incontournable pour elle de trouver des façons d’améliorer leur confiance. »

La proportion d’entraîneuses a une incidence sur la pratique sportive, indique la professeure. Même si les entraîneurs veulent bien faire, ils ignorent comment accrocher leurs joueuses. Plusieurs d’entre elles abandonnent, en raison d’un désintérêt, mais aussi d’abus de pouvoir et de harcèlement. La joueuse olympique de volleyball Guylaine Dumont en témoigne dans le livre : « Ayant encore une fois l’impression que c’était moi le problème et non l’entraîneur, j’ai donc abandonné toutes tentatives de dénonciation et je suis partie sans faire de vagues. »

Dans le sport comme en affaires

Pour celles qui suivront raconte comment, depuis 50 ans, les femmes dans le domaine du sport se sont organisées pour combattre les injustices. Dans les années 1970 et 1980 est apparue la recherche sur les femmes et le sport, non sans difficultés. Professeure retraitée d’éducation physique à l’Université de l’Alberta, où elle a commencé à enseigner en 1968, Ann Hall est l’une des premières à avoir exploré ce champ d’études, au grand étonnement de ses collègues. Associé à des valeurs masculines comme la compétition et la violence, le sport avait été écarté des études féministes.

Les féministes se sont finalement intéressées au sport, et les athlètes, au féminisme. L’Association canadienne pour l’avancement des femmes, du sport et de l’activité physique a été mise sur pied au début des années 1980. Sylvie Béliveau a fondé Égale Action, au Québec, au début des années 2000. Au fil des ans, l’organisme s’est imposé, notamment en donnant des formations sur le leadership au féminin. Il agit également sur le plan politique en faisant des recommandations au gouvernement en matière sportive. Guylaine Demers, qui préside le C.A. de l’organisme, milite pour l’imposition de quotas de femmes dans les organisations sportives, à l’image de ce qui se fait dans le milieu des affaires. « C’est bien beau donner des formations, mais on essaie de faire rentrer les femmes dans un système déficient. On est rendues à changer le système », croit-elle. L’objectif serait d’augmenter la proportion de femmes dans les organisations sportives à 40 %.

La présence de femme dans l’administration sportive est essentielle, selon l’expérience de Sylvie Béliveau. « La présence d’une seule femme dans une salle amène un langage différent, ce qui est un début, écrit-elle. C’est ce que j’ai vécu. Soudainement, les intervenants faisaient plus attention à employer un vocabulaire incluant les deux sexes. Ma présence a également permis aux partisans du volet féminin de s’exprimer confidentiellement ou publiquement; avoir des appuis silencieux contribue au changement. »

Couverture du livre mentionné dans l'article

Guylaine Demers, Lorraine Greaves, Sandra Kirby et Marion Lay (sous la dir. de), Pour celles qui suivront. 50 ans d’histoire de femmes en sports au Canada, Société d’histoire féministe, 2013, 385 p.