Aller directement au contenu

Les visages de l’Inde

Un regard — profond et sans jugements — sur cette réalité plurielle des femmes de l’Inde.

Date de publication :

Auteur路e :

Après avoir habité en Suisse pendant six ans, la journaliste d’origine québécoise Andrée-Marie Dussault s’installe en Inde pour vivre de sa plume. Elle y reste sept ans. Sept années parsemées de questionnements, de chamboulements, mais surtout de rencontres. Dans son livre Voyage dans l’Inde des Indiennes, elle dévoile la dure réalité de milliers d’Indiennes, qui parfois nous surprend, et nous bouleverse souvent.

Lors d’un court voyage en Inde en 2004, Andrée-Marie Dussault est conquise par la chaleur du soleil et le sourire des gens. « Pourquoi me battre pour rester en Suisse alors que je pourrais vivre ici? » se demande-t-elle. La journaliste s’établit donc à Delhi, dans l’espoir de publier ses articles à l’étranger. Elle sera exaucée. Des dizaines de textes plus tard, elle offre avec Voyage dans l’Inde des Indiennes un condensé de ses articles qui traitent de la situation des femmes dans ce pays.

C’est une Inde multiple, « un mélange de cultures, un cocktail de croyances » que l’on découvre au fil des pages. L’auteure met en lumière une mosaïque de réalités allant des fœticides aux mariages intercastes, en passant par le concours de beauté Miss Tibet. Le fil conducteur? Sans doute la mobilisation locale pour les différentes causes. « Les Indiens et les Indiennes se mobilisent beaucoup, ça reste une démocratie et la population est très politisée », nous explique Andrée-Marie Dussault depuis l’Europe où elle est de retour. L’Inde compte beaucoup de groupes de femmes, principalement composés de femmes privilégiées « qui vont certainement tendre la main aux femmes moins privilégiées, mais la hiérarchie des castes reste omniprésente ». Après réflexion, elle admet que la caste demeure souvent plus puissante que la solidarité de genre.

Castes et genre : bases de la discrimination

Dans ce pays où la population dépasse le milliard, « ceux qui détiennent le pouvoir exercent une grande violence envers les personnes socialement infériorisées  : les pauvres en général, les castes inférieures, les tribals (les autochtones) et les femmes ».

Une loi passée en 1993 interdit la collecte des excréments humains, une tâche presque exclusivement féminine réservée à la caste la plus basse, les dalits. Malgré la législation, ces femmes, munies d’un panier et d’un petit balai, continuent de récupérer « les matières fécales des latrines sèches des quartiers pour les planquer dans un dépotoir avoisinant ». La pratique persiste dans les quartiers, mais aussi auprès des instances gouvernementales, qui emploient toujours les dalits « pour nettoyer les toilettes des stations ferroviaires ». Parmi le million d’Indiennes qui exécutent cette triste corvée quotidienne, une douzaine de collectrices d’excréments ont tenté en 2009 de convaincre leurs « collègues » de mettre fin à cette tradition déshumanisante et dangereuse. Mais la route sera longue, nous confie la journaliste, car « le surplace en Inde est assez courant… Surtout concernant les groupes les plus discriminés, dont font partie ces collectrices ».

Le poids de la dot

D’autres réalités sont toutefois partagées par toutes les femmes, peu importe leur caste. « En Inde […], on vénère les déesses mais chez les mortels, on préfère les garçons », écrit Andrée-Marie Dussault. La dot, la « bête noire » des féministes indiennes, n’est pas étrangère à cette préférence. Celle qui a vécu sept ans au pays des maharadjas a pu constater qu’elle est l’une des principales raisons derrière les fœticides féminins. Les biens offerts par les parents qui marient leur fille se sont transformés au rythme de la mondialisation jusqu’à devenir « la pierre angulaire de l’économie sociale en Inde ».

Forme de violence collective, la dot dépose un poids financier important sur les épaules des familles et discrimine dangereusement les femmes. L’auteure soutient qu’« il y a beaucoup de cas d’épouses qui sont tuées par la belle-famille afin que le fils puisse se remarier et donc avoir une nouvelle dot ». Elle explique que « l’institution du mariage est très réglée en Inde, les mariages sont arrangés dans plus de 9 cas sur 10 et les “mariages d’amour” demeurent des exceptions ». Le contrôle social sur les femmes est très rigide. Lorsqu’elles ne se soumettent pas à la norme, leur parcours est d’autant plus difficile.

Lesbiennes loin des regards

L’Inde a décriminalisé l’homosexualité en 2009. Malgré cette avancée considérable, Andrée-Marie Dussault admet n’avoir jamais rencontré de couple de lesbiennes qui vivait ouvertement son homosexualité. « Les femmes sont surveillées en permanence et on s’attend à ce qu’elles soient soumises et respectent l’ordre établi. »

L’organisme Sangini a vu le jour en 1997, à Delhi, justement pour venir en aide aux réfugiées sexuelles. Ses deux fondatrices, Maya et Beetu, offrent un appui à des lesbiennes étouffées par le contrôle social ou mises à la porte de leur foyer à cause de leur orientation sexuelle. Mais la journaliste convient que le poids de l’organisme est bien mince dans une ville de près de 20 millions de personnes où l’homophobie est très présente. Comme elle le souligne, « vivre ouvertement son homosexualité au vu et au su de tous demande un grand courage, car les préjugés sont puissants ».

L’Inde des possibles

Cette Inde que l’on découvre à travers la vie difficile de plusieurs Indiennes, elle « remue votre vie à sa racine, et remet en question tout ce que vous pensiez être ». Pourtant, on sent qu’Andrée-Marie Dussault porte un amour presque inconditionnel à ce pays qu’elle a qualifié de paradis en y posant les pieds pour la première fois. « Il y a des obstacles, des imprévus, des choses invraisemblables qui peuvent se passer, mais tout est possible. » Dans l’univers des possibles de l’auteure, il y a avant tout l’ouverture à l’autre et les rencontres qui en découlent.

Quand on lui demande quelles difficultés elle a rencontrées, elle répond sans hésiter : « Ce n’est pas facile, c’est sûr. Entre la pollution, le bruit et la mendicité des enfants, j’étais harcelée en permanence parce que je suis blanche. Mais il y a une telle énergie que ça recharge tes batteries… » Et comme elle l’écrit si bien, « si on se laisse aller, les yeux, l’esprit et le cœur ouverts, des miracles se produisent ». En lisant ce recueil, on vit aussi notre petit miracle : plonger dans des univers disparates, découvrir l’Inde des Indiennes, loin des généralités et des jugements.

Couverture du livre.

Andrée-Marie Dussault, Voyage dans l’Inde des Indiennes, Les éditions du remue-ménage, 2013, 144 .