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Exploitées, les mères porteuses?

Mères porteuses : Louise Langevin s’inquiète de la santé et de la sécurité des femmes.

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Professeure à la Faculté de droit de l’Université Laval, Louise Langevin vient de déposer le mémoire La maternité de substitution : une occasion d’égalité, de liberté, d’altruisme? dans le cadre d’une consultation publique sur les activités de procréation assistée. Elle y explique pourquoi elle pense que le recours aux mères porteuses constitue une forme d’exploitation de la capacité reproductive des femmes. Et de quelle façon la législation pourrait mieux encadrer la gestation pour autrui, à défaut de l’interdire.

Gazette des femmes : Pourquoi avez-vous décidé de présenter un mémoire sur la maternité de substitution?

Louise Langevin : Cette question revient régulièrement dans l’actualité. Le printemps dernier, nous avons assisté à la controverse entourant le mariage gai en France. Mais l’enjeu derrière cela, c’est le droit à l’enfant et le recours à la maternité de substitution, autrement dit les mères porteuses. Les Français y ont recours, non pas en France, où c’est interdit, mais en Ukraine, en Espagne ou en Inde. La maternité de substitution soulève aussi la question du tourisme procréatif. Plus près de nous, depuis 2009, les tribunaux québécois ont rendu six décisions concernant la requête d’adoption d’une mère intentionnelle pour un enfant issu de l’utérus d’une mère porteuse. Le phénomène existe bel et bien ici, même s’il demeure souterrain.

Quelle est l’importance de cette pratique au Québec?

Il y a peu de données sur le nombre de mères porteuses ou le nombre d’enfants qui naissent de cette façon. On sait par contre que certaines cliniques de fertilité sont impliquées dans des démarches de gestation pour autrui. C’est pourquoi je recommande que l’on mène des études pour chiffrer le phénomène, connaître le statut socioéconomique et les motivations des mères porteuses ainsi que les conditions dans lesquelles se déroule leur expérience.

Vous êtes contre la maternité de substitution. Pourquoi?

Ma principale inquiétude concerne la santé et la sécurité des femmes. La procréation assistée comporte des risques qu’on ne mesure pas encore très bien. On ignore les effets à long terme des médicaments prescrits pour décupler l’ovulation, sans compter que le prélèvement des ovules et l’implantation de l’embryon causent un inconfort considérable. N’oublions pas que c’est toujours à l’intérieur du corps des femmes que se déroulent ces interventions!

Être mère porteuse comporte-t-il des risques?

Parmi les six décisions rendues par les tribunaux québécois, on relate l’histoire d’une jeune Québécoise à qui on a prélevé un ovule, qui a ensuite été fécondé in vitro et implanté dans l’utérus d’une de ses tantes. Or, la tante a porté des jumeaux. Elle a dû garder le lit pour préserver sa grossesse et a souffert de pré-éclampsie, une augmentation grave de la tension artérielle. En principe, on ne meurt plus en accouchant au Canada. Mais la grossesse n’est pas un pique-nique pour autant!

La maternité de substitution ramène les femmes à leur rôle de reproduction, dites-vous. Mais si elles ont le droit de mettre fin à leur grossesse, ne peuvent-elles pas choisir de porter l’enfant d’une autre?

Les femmes ont entièrement le droit de décider de ce qu’elles font avec leur corps, d’avoir des enfants ou de ne pas en avoir. Ce droit leur a même été reconnu par la Cour suprême du Canada. Mais on parle de liberté de choix pour qui? Aux États-Unis, les études démontrent que ce sont des femmes pauvres, noires ou d’origine hispanique qui sont mères porteuses.

Donc, il s’agit d’une forme d’exploitation du corps des femmes…

Dans certains États américains, il faut passer par une agence et débourser entre 80 000 $ et 100 000 $ pour avoir accès à la maternité de substitution. De ce montant, la mère porteuse ne touche que 22 000 $ et doit tout de même se plier à toute une série d’interdictions. Et comme les coûts sont moins élevés dans certaines régions du globe, on assiste à une « délocalisation » du phénomène. Dans un reportage présenté à Une heure sur terre à Radio-Canada en 2010, on constate le contrôle exercé sur les mères porteuses en Inde : elles sont pratiquement cloîtrées et vivent comme des poules au couvoir.

Photographie de Louise Langevin.

Que pensez-vous du geste gratuit posé pour une amie ou une sœur?

L’argument du don de vie, je n’y crois pas. La loi fédérale sur la procréation assistée autorise la maternité de substitution à titre gratuit avec remboursement des dépenses seulement. Mais la frontière entre le montant alloué aux dépenses et une rétribution en bonne et due forme est parfois mince. En outre, l’absence d’argent n’efface pas toutes les formes d’exploitation. Des pressions peuvent s’exercer au sein des familles, autant chez les couples infertiles pour qu’ils règlent ce problème que sur les femmes fertiles de leur entourage pour qu’elles donnent leurs ovules ou prêtent leur utérus.

Est-ce que toutes les féministes sont d’accord avec vous?

Non. Certaines croient qu’on devrait écouter ce que les mères porteuses ont à dire, car on ne connaît pas leurs motivations. Peut-être posent-elles ce geste par altruisme? D’autres considèrent qu’on doit respecter leur choix.

Quelles sont les lois qui encadrent la maternité de substitution au Québec?

Depuis 2004, la loi fédérale sur la procréation assistée permet les contrats altruistes, donc sans rétribution. La suite appartient aux provinces. Au Québec, la pratique est seulement tolérée et l’article 541 du Code civil déclare nuls les contrats conclus entre la mère porteuse et les parents intentionnels. Autrement dit, advenant que l’une des parties ne respecte pas ses obligations, ce contrat ne vaut rien. Même si vous avez donné 10 000 $ à une mère porteuse et qu’on vous a promis un bébé, celle-ci peut toujours décider de garder l’enfant.

La mère porteuse est donc la seule reconnue par la loi?

La femme qui accouche de l’enfant est la mère, qu’elle ait fourni l’ovule ou pas. Au Québec, les parents qui veulent faire rectifier les registres de l’état civil de leur enfant, venu au monde par les services d’une mère porteuse, doivent présenter une requête devant le tribunal pour demander l’adoption. Et le tribunal peut toujours refuser, comme cela s’est produit en 2009, et ce, même si la mère porteuse était tout à fait d’accord.

On devrait donc revoir la législation?

Partout dans le monde, les lois qui interdisaient la maternité de substitution s’assouplissent. Si on ne peut pas revenir en arrière, on devrait à tout le moins envisager un meilleur encadrement. Par exemple, en Alberta, la gestation pour autrui est permise lorsqu’un des deux parents fournit le matériel génétique (sperme ou ovule). De plus, un juge peut déclarer que la mère génétique de l’enfant est la seule mère légale, lorsque la mère porteuse y consent. Par contre, la mère porteuse peut toujours décider de garder l’enfant.

Le Québec pourrait-il devenir une destination pour le tourisme procréatif?

La Loi sur la procréation assistée de 2004 interdit la rétribution d’intermédiaires, d’avocats, de sites et d’agences de rencontre pour avoir accès à la maternité de substitution. Mais sur le Web, vous trouvez des couples qui cherchent des mères porteuses, des mères porteuses qui offrent leurs services de même que des intermédiaires. Et comme au Canada, les soins et l’accouchement sont payés par l’État, nous pourrions en effet devenir une destination de choix pour le tourisme procréatif. Dernièrement, une agence de Toronto s’annonçait en ligne en disant qu’au Québec, c’est moins cher, puisqu’on y offre trois essais gratuits en fécondation in vitro… Bref, on devrait exercer une meilleure surveillance.

Avec l’entrée en vigueur de la Loi sur les activités cliniques et de recherche en matière de procréation assistée et des deux règlements qui s’y rattachent, la Régie d’assurance maladie du Québec (RAMQ) rembourse, depuis août 2010, les frais médicaux et la médication entourant la procréation médicalement assistée (PMA), de l’insémination artificielle jusqu’à la fécondation in vitro. Si cette loi et ses règlements ont permis de baliser l’exercice de la PMA au Québec, tout en rendant cette intervention accessible à l’ensemble de la population, certains des enjeux soulevés par ces activités méritent encore d’être soulevés. Le Commissaire à la santé et au bien-être a donc reçu du ministre de la Santé et des Services sociaux le mandat de produire un avis sur les activités de procréation assistée au Québec afin de recenser les enjeux soulevés par ces activités, qu’ils soient cliniques, scientifiques, éthiques, sociaux, juridiques, organisationnels ou économiques. De l’avis du Conseil du statut de la femme, le problème de l’accessibilité se pose aussi, et mérite une certaine attention, car de rares ressources financières octroyées pour le remboursement des FIV deviennent non disponibles pour les services de première ligne. Dans un mémoire déposé au Commissaire en juin, Des pistes d’amélioration pour le programme de procréation médicalement assistée, le Conseil du statut de la femme préconise entre autres la fin de l’universalité du programme de remboursement de la procréation médicalement assistée (PMA) par la RAMQ, et recommande que les procédures de PMA soient offertes gratuitement aux personnes ayant des revenus moins élevés.

Cette consultation publique tenue par le Commissaire à la santé et au bien-être s’est clôturée le 20 juin dernier. C’est aussi dans le cadre de cet exercice que le mémoire de Louise Langevin La maternité de substitution : une occasion d’égalité, de liberté et d’altruisme?, a été réalisé, et déposé au Commissaire.