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J’habite seule, et alors?

Vivre en « solo » en : la misère affective ou sociale… Vraiment?

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Qu’elles soient en couple ou célibataires, de plus en plus de Québécoises habitent seules. Et aiment être maîtres sous leur toit.

Au Québec comme ailleurs, les « solos », terme désignant les personnes qui habitent seules, se multiplient. « C’est un phénomène en expansion, et pas seulement dans les centres urbains », affirme Annick Germain, chercheuse à l’Institut national de la recherche scientifique et coauteure d’Habiter seul : un nouveau mode de vie ? (PUL, ). Elle précise toutefois que, au Québec, c’est à Montréal que la concentration de « solos » est la plus élevée : 41 % des gens y vivent seuls. « On ne peut plus en parler comme d’un mode de vie anormal quand, dans des quartiers comme Le Plateau ou Rosemont, la majeure partie des gens — de 50 à 60 % — vivent seuls. Et les femmes sont les plus nombreuses. » En , elles représentaient en effet 55,8 % de cette catégorie au Québec, selon Statistique Canada.

Photographie de Annick-Germain.
« Nombreuses sont celles qui nous disent que, en rentrant chez elles, elles sont contentes de ne plus avoir à négocier avec qui que ce soit. »
 — Annick Germain

Aujourd’hui, 22,1 % des femmes vivent seules dans la région de Montréal, et 17,1 % dans l’ensemble du Québec, selon la Table des groupes de femmes de Montréal. Parmi elles, on compte une proportion élevée de jeunes. Impossible toutefois de dresser un portrait type de la femme qui vit en solo. « Les situations sont extrêmement variées, dit Annick Germain. On trouve des femmes de tous les âges, de tous les milieux sociaux, avec néanmoins une surreprésentation chez les femmes âgées. Mais les jeunes d’environ 30 ans sont aussi nombreuses. Beaucoup en ont marre de la colocation et désirent retrouver un peu la paix. »

Page couverture du livre.

Johanne Charbonneau, Annick Germain, Marc Molgat, Habiter seul : un nouveau mode de vie ?, Presses de l’Université Laval, , 280 p.

Les voies de l’autonomie

Séparation, enfants qui quittent la maison : habiter seule est rarement, selon la chercheuse, un choix au départ. « Lors de nos entrevues portant sur les trajectoires familiales, nous avons constaté qu’habiter seule est plutôt le résultat de circonstances. Et de changements d’ordre social au sein de la famille. » De fait, avec un taux d’emploi et de diplomation postsecondaire parmi les plus élevés au monde (0,95 femme pour 1 homme en emploi en ; une femme sur cinq diplômée au postsecondaire), les Québécoises ont fait des progrès énormes en matière d’autonomie financière. En , les femmes âgées de 16 à 64 ans qui vivaient seules avaient un revenu total équivalant à presque 80 % de celui des « solos » masculins.

Plus solides financièrement, aidées par les nouveaux programmes d’accession au logement mis en place par différentes villes (Montréal notamment), les femmes veulent devenir maîtres sous leur toit. En , selon Statistique Canada, 49 % des femmes qui vivaient seules étaient propriétaires, comparativement à 47 % des hommes dans la même situation. « Si, auparavant, l’accession à la propriété allait de pair avec la construction de la famille, ce n’est plus le cas, note Annick Germain. Les femmes travaillent, sont à même d’assurer leur autonomie financière, et si elles achètent, c’est parce qu’elles veulent aussi être autonomes chez elles. »

Autonomie. Le mot est lâché. « Je me suis retrouvée seule en appartement après un divorce douloureux, et ça m’apparaissait comme une solution temporaire, raconte Marie*, 34 ans, propriétaire de son quatre et demie à Montréal. Quatre ans plus tard, je ne changerais ma situation pour rien au monde. J’ai un chum depuis plus d’un an, on partage beaucoup de choses, mais j’aime retrouver une intimité, ne pas avoir à rendre de comptes quand je suis à la maison et que je veux me détendre. »

Photographie de Francine Descarries
Pour Francine Descarries, sociologue et professeure-chercheuse au département de sociologie à l’UQAM, le fait qu’aujourd’hui les femmes accèdent plus facilement à la propriété n’est pas étranger au choix de certaines de vivre seules à long terme.

« Les femmes se perçoivent aujourd’hui comme capables d’être propriétaires, à l’inverse de celles de la génération précédente, relate Francine Descarries, sociologue et professeure-chercheuse au Département de sociologie de l’UQAM. Et quand on décide d’acheter soi-même un appartement, on intègre du même coup l’idée selon laquelle on pourrait être seule longtemps, au lieu de se sentir en transition. Et ça, c’est un véritable changement. »

Fini le temps où habiter seule était synonyme de misère affective ou sociale. « Beaucoup de ces femmes ont une vie professionnelle très intense, note Annick Germain. Qu’elles soient réceptionnistes ou cadres, elles passent énormément de temps à communiquer. Nombreuses sont celles qui nous disent que, en rentrant chez elles, elles sont contentes de ne plus avoir à négocier avec qui que ce soit. Contrairement aux apparences, les femmes qui habitent seules ne sont pas isolées, loin de là. Elles ont plutôt tendance à avoir un réseau social très étendu. » Optimisme partagé par Francine Descarries, qui émet quand même un bémol : « C’est un changement très positif : les femmes qui vivent seules ne sont plus considérées comme des laissées pour compte. Cependant, les gens pensent encore souvent que vivre seule équivaut à vivre sans homme. » Comme quoi les mentalités sont parfois plus longues à changer que la réalité…

  1. * Prénom fictif

Douées pour la vie en solo

Dans son livre à succès Going Solo, l’auteur et essayiste américain Eric Klinenberg se penche sur le phénomène des personnes vivant seules en Amérique du Nord, particulièrement à New York. Il avance l’idée selon laquelle les femmes seraient plus douées que les hommes pour vivre seules. Elles seraient plus aptes à entretenir un réseau social (voisinage, parents, amis, relations amoureuses) en raison de leur éducation, centrée sur l’attention et le soutien plutôt que sur la compétition.

L’auteur relève que la majorité des femmes qu’il a rencontrées pour son enquête se disent satisfaites de leur situation. Il note quand même que, parmi les trentenaires, ce sont les femmes que cette situation angoisse le plus. Pourtant, vivre seule aurait selon lui des vertus pour les femmes : « Les femmes qui vivent seules sont considérablement plus portées à avoir une attitude volontaire dans leur vie que les femmes mariées. Les mariages sont très “voraces”, particulièrement avec le temps des femmes », lit-on dans Going Solo.