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Pour de vrais droits des Africaines

Pour que, d’une génération à l’autre, les droits et les conditions de vie des Africaines soient égaux à ceux des hommes.

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Faciliter l’accès des femmes à l’eau, à la terre et favoriser leur autonomie juridique, morale et économique, voilà quelques-unes des visées d’un projet de protocole sur l’égalité qui mobilise des centaines de personnes en Afrique de l’Ouest, majoritairement des femmes. Pour que, d’une génération à l’autre, le sort des Africaines soit libéré de l’autorité d’un père, d’un mari ou d’un frère. Bilan des travaux.

Réunis à Dakar, au Sénégal, les 22 et 23 novembre dernier, des représentants de plusieurs pays d’Afrique de l’Ouest, tous membres de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO), ont revisité la première mouture d’un projet de protocole portant sur l’égalité de droits entre les femmes et les hommes pour le développement durable. Des militantes et militants d’organismes voués à la défense des droits de la personne, plus particulièrement des droits des femmes, ont étudié rigoureusement le projet de texte et apporté les bonifications jugées essentielles pour que la réalité des femmes de toutes les régions d’Afrique de l’Ouest y soit reflétée, dans toutes ses dimensions : droits maritaux et familiaux, santé, violence, gouvernance, éducation et formation, accès aux ressources productives, à l’information et à l’emploi, conséquences des changements environnementaux sur les conditions de vie.

Ces femmes et ces hommes engagés désirent un outil juridique additionnel, mais surtout novateur et complémentaire à ceux dont disposent les pays d’Afrique de l’Ouest*, jugés inefficaces faute d’application et de suivi rigoureux. Pragmatique, ce nouveau protocole vise à contraindre les États à réaliser leurs engagements afin que l’égalité de droit entre les femmes et les hommes soit réellement appliquée, et les législations nationales harmonisées aux mesures africaines et internationales de protection et de promotion des droits des femmes en Afrique de l’Ouest. Le Conseil du statut de la femme fait sa modeste part pour aider les militantes africaines à mener ce projet à bien.

Loin de l’égalité

Car malgré certains gains, un constat demeure : les femmes de l’Afrique de l’Ouest ne jouissent toujours pas des mêmes droits ni des mêmes conditions de vie que les hommes. D’avancées en régressions, les efforts que déploient les organismes humanitaires et le mouvement des femmes donnent des résultats en dents de scie, selon le contexte politique, le niveau de sécurité et les conflits de chaque pays.

Selon une étude du Centre de la CEDEAO pour le développement du genre (CCDG) réalisée en août 2009, les Africaines de l’Ouest produisent 70 % des denrées alimentaires, mais ne contrôlent pas les facteurs de production, comme les terres et le crédit, et ne bénéficient pas des retombées. Et malgré ce dynamisme, elles demeurent celles qui souffrent le plus de la pauvreté. En éducation, les statistiques concernant la scolarité au primaire sont encourageantes (60 % des filles sont scolarisées comparativement à 71 % des garçons), alors que le taux de scolarisation au secondaire et aux études postsecondaires chez les filles est plutôt alarmant : au Bénin, par exemple, il est de 22 %, et au Burkina Faso, de 14,6 %.

Le Rapport OMD 2012, qui mesure les progrès en Afrique dans la réalisation des Objectifs du millénaire pour le développement (au nombre de huit, ces objectifs ont été adoptés lors du Sommet du millénaire tenu en 2000 au siège des Nations Unies à New York, dans le but d’améliorer le bien-être humain), mentionne d’ailleurs la persistance d’une féminisation de la pauvreté : « Un deuxième aperçu révèle que la pauvreté est “féminisée” dans de nombreux pays : les femmes souffrent davantage de la pauvreté que les hommes. […] Cette situation peut s’expliquer par différents facteurs. Le fait que les femmes travaillent au foyer les empêche souvent d’obtenir un emploi salarié. Et quand elles y parviennent, leur salaire est souvent sous-évalué. Les femmes occupent le plus souvent des emplois mal rémunérés et sont soumises à de mauvaises conditions de travail. Le manque d’accès des femmes aux ressources économiques et éducatives explique également la féminisation de la pauvreté. »

Les avantages du protocole

Photographie de Mariame-Coulibaly.
La chargée de programme régional en égalité femmes-hommes Uniterra, Mariame Coulibaly, est convaincue que le projet de protocole permettra de faire appliquer les textes de loi en respectant les engagements pris pour le bien-être de l’humanité, et pour l’égalité de droit entre les sexes en particulier.

Mariame Coulibaly, militante de longue date et chargée de programme régional en égalité femmes-hommes Uniterra, est convaincue de la plus-value du protocole : « Sur le plan juridique, nous avons fait des avancées significatives. Mais du point de vue pratique, c’est comme si les chefs d’État signaient, ratifiaient par mimétisme. Ils montrent une volonté politique, mais elle reste inachevée. Il faut appliquer les textes en respectant les engagements pris pour le bien-être de l’humanité. »

La responsable de la politique et des programmes genre au CCDG, Salimata Thiam, estime que le mouvement des femmes est sur le point de franchir une nouvelle étape : « Les outils disponibles jusqu’ici sont thématiques (politique genre, politique de l’immigration qui vise les femmes) et n’englobent pas tout le monde. Le caractère contraignant que l’on veut donner au protocole nous satisfait beaucoup. Et je crois qu’il en va du développement humain, pas que de celui des femmes. Cela nous permettra d’intégrer tous les autres secteurs qui contribuent au développement de la communauté, comme l’agriculture, la sécurité, le maintien de la paix. »

Photographie de Salimata-Thiam.
Le mouvement des femmes est sur le point de franchir une nouvelle étape avec ce protocole, estime Salimata Thiam, responsable de la politique et des programmes genre au CCDG, car il prévoit d’intégrer tous les secteurs qui contribuent au développement de la communauté, comme l’agriculture, la sécurité, le maintien de la paix.

Le processus augure donc bien. La commissaire du développement humain et du genre de la CEDEAO, Adrienne Diop, a même donné officiellement son assentiment à l’initiative. Un geste symbolique, mais qui a du poids. Celui du pouvoir politique, impératif et incontournable. Sans compter qu’aux yeux des initiatrices, le contexte est favorable : tenue de la Décennie de la femme africaine (2010-2020), création d’ONU-Femmes et poursuite des Objectifs du millénaire pour le développement de l’ONU, dont l’aboutissement est prévu pour 2015. Ce qui fait dire aux plus optimistes que le document juridique pourrait être validé par l’organisme dès 2013, et soumis aux chefs d’État pour sa ratification avant la fin de cette année.

Né dans la coopération

Les travaux liés au protocole sur l’égalité ont débuté en 2008. Depuis, le projet est porté à bout de bras par les militants, femmes et hommes, et soutenu par le programme de coopération volontaire Uniterra, élaboré et mis en œuvre par le Centre d’étude et de coopération internationale (CECI) et l’Entraide universitaire mondiale du Canada (EUMC).

Sur le terrain, le processus de concertation a été enclenché en 2008 par la Coalition nationale de Guinée pour les droits et la citoyenneté des femmes (CONAG-DCF), qui a joué le rôle de locomotive. Après quelques ateliers, le projet a connu une période de léthargie de plus d’un an en raison d’une coordination défaillante. C’est l’entrée en poste de la chargée de programme en égalité femmes-hommes qui a permis de relancer les activités et de mobiliser des coalitions d’organismes qui œuvrent pour les droits et la citoyenneté des femmes au Burkina Faso, en Guinée-Conakry, au Mali, au Niger et au Sénégal. Ont alors été invités à monter à bord d’autres réseaux régionaux comme la WILDAF (Femmes, droit et développement en Afrique) en Afrique de l’Ouest, la Marche mondiale des femmes et le Centre de la CEDEAO pour le développement du genre. Les militants de chaque pays ont été appelés à établir les priorités nationales afin de les intégrer au projet de protocole. Les représentantes de la Sierra Leone, de la Côte-d’Ivoire, du Nigeria, de la Guinée-Bissau et de la Gambie ont également joint les rangs de la mobilisation récemment. Les coalitions des cinq pays d’intervention du programme Uniterra ont uni leurs efforts pour pour rédiger la première mouture du projet de protocole. C’est maintenant le Réseau Siggil Jigeen, un regroupement sénégalais de plusieurs organismes associatifs voués à la défense des droits de la personne, particulièrement des droits des femmes, qui a pris le relais pour coordonner le travail des coalitions entourant ce projet.

Combler un vide juridique

Le but du projet de protocole est d’améliorer les conditions de vie des femmes et de renforcer leurs capacités. Pour cela, il faut un cadre légal suffisamment solide pour assurer la défense des droits des femmes et forcer les chefs d’État à réaliser leurs engagements, soutiennent les militantes. Elles pourront dire « mission accomplie » quand les femmes pourront, par exemple, accéder au crédit et devenir propriétaires des terres qu’elles exploitent. Quand elles se verront confier automatiquement la garde des enfants après le décès de leur mari; qu’elles seront assurées d’une rémunération minimale lorsqu’elles effectuent des travaux agricoles ou domestiques… Autant d’indicateurs qui permettront d’affirmer que les Africaines ont atteint l’autonomie financière. Et qu’elles jouissent des droits d’un être humain digne de ce nom.

Ce n’est peut-être pas demain la veille. Sur ce continent, les droits des femmes sont méconnus et souvent bafoués. Des valeurs coutumières laissent difficilement place à l’application de l’égalité entre les sexes. Pourtant, Mariame Coulibaly du programme Uniterra, juriste de formation, est convaincue que ce document recevra une réponse favorable du Parlement de la CEDEAO,« tout simplement parce qu’il répond aux attentes de la CEDEAO. Il y a un vide juridique actuellement, car un tel outil n’existe pas ici. La Communauté de développement d’Afrique australe (SADC) en a un, elle. Pour une question d’harmonisation, de parallélisme des formes, pourquoi pas en Afrique de l’Ouest? » Le Protocole de la SADC sur le genre et le développement a en effet été adopté par les hauts fonctionnaires responsables de la condition féminine en 2007, à Livingstone, en Zambie. Les États signataires ont convenu d’harmoniser les politiques, stratégies et programmes nationaux, régionaux et internationaux visant à assurer l’égalité et l’équité entre les sexes et le renforcement des moyens des femmes et des filles dans les domaines visés dans le protocole.

Ce protocole a servi d’inspiration à l’initiative ouest-africaine.« J’ai échangé avec les instigatrices, relate Mme Coulibaly. J’ai appris que leur principale lacune est qu’elles n’ont pas inscrit, dans le texte juridique, des indicateurs clairs et précis pour pouvoir mesurer les étapes franchies. Elles n’ont pas non plus intégré des sanctions en cas de non-respect de l’application du document. Nous nous sommes fondés sur ces erreurs pour améliorer le protocole sur l’égalité de droits dans l’espace CEDEAO. »

La confiance de la chargée de programme repose aussi sur le fait que la CEDEAO prône le droit communautaire, c’est-à-dire un droit proche des peuples, qui doit agir comme baromètre et mesurer le degré de satisfaction et les attentes des populations.« Ce protocole constituera un outil juridique avec une valeur ajoutée, soit des indicateurs très clairs. »

Un avis partagé par Me Alioune Sall, avocat-conseil devant la Cour internationale de justice de La Haye et les cours de justice de la CEDEAO et de l’Union économique et monétaire ouest-africaine, et professeur titulaire en droit constitutionnel à l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar.« Ce texte moderne porte la marque de son époque », a commenté le réputé professeur de droit invité à jeter un regard critique sur le texte, lors de la consultation tenue à Dakar.« Il s’agit du premier document juridique qui traite des droits de la personne dans le cadre de la politique de la CEDEAO. » L’analyse du professeur a mis en exergue le caractère novateur du texte, soit une obligation de prescription de la part des États qui le ratifieront : ils devront élaborer des politiques et mener des actions pour favoriser l’application des principes proclamés dans le document.

La commissaire du développement humain et du genre de la CEDEAO attend la proposition issue de la deuxième mouture. Un comité d’experts juridiques dépouillera le texte et l’adaptera conformément aux principes et aux directives de fonctionnement de la CEDEAO. Le document sera ensuite acheminé aux parlementaires de la CEDEAO qui l’examineront, pour enfin le présenter au Conseil des ministres. Celui-ci le déposera au Sommet des chefs d’État, la plus haute institution de la CEDEAO, en vue de son adoption. Un sommet se tient en juin et en décembre chaque année.

Le défi d’ici là? Maintenir la mobilisation des militantes et des militants qui auront à promouvoir le projet de protocole auprès de tous les acteurs. Car pour que sa ratification soit exigée, la population doit se l’approprier et croire en sa nécessité. Il faut aussi du financement pour soutenir ces efforts de mobilisation majoritairement bénévoles. Le résultat attendu sera-t-il au rendez-vous? Chose certaine, les Africaines, elles, entendent bien l’être!

  1. * Quelques textes relatifs à l’égalité, à l’équité des sexes et au renforcement du pouvoir des femmes adoptés par les États africains
  • Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes (1979)
  • Plateforme d’action de Dakar (1994)
  • Programme d’action de Beijing (1995)
  • Politique genre de la CEDEAO (2002)
  • Protocole relatif à la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples relatifs aux droits de la femme en Afrique (2003)
  • Déclaration solennelle des chefs d’État de l’Union africaine sur l’égalité entre les hommes et les femmes en Afrique (2004)
  • Politique genre de l’Union africaine (2008)

Notes : 

La CEDEAO est un regroupement de 15 pays créé en 1975. Sa mission est de promouvoir l’intégration économique dans tous les domaines d’activité. La CEDEAO est formée de quatre institutions : la commission, le Parlement, la cour de justice et la Banque d’investissement et de développement. La commission et la banque sont chargées de mettre en œuvre des politiques, de poursuivre un certain nombre de programmes et d’exploiter des projets de développement dans les États membres.

Uniterra est un programme canadien de coopération volontaire internationale qui contribue à réduire la pauvreté et les inégalités dans 12 pays d’Afrique, d’Amérique latine et d’Asie.

Ces articles ont été rendus possibles grâce à un partenariat conclu entre Uniterra, un programme de coopération volontaire élaboré par le CECI et l’EUMC, et le Conseil du statut de la femme du Québec. Ce partenariat prévoit la réalisation d’un mandat nord-sud visant à renforcer les capacités des coalitions qui œuvrent pour les droits et la citoyenneté des femmes en Afrique de l’Ouest, particulièrement à l’égard des démarches de communication qu’elles entameront pour faciliter l’adoption du projet de protocole sur l’égalité de droits entre les femmes et les hommes pour le développement durable en Afrique de l’Ouest.