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Travailleuses lesbiennes : la tranquillité du placard

Pour les lesbiennes, rester dans le placard ne permet pas de faire obstacle à la lesbophobie au travai.

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Depuis , la Charte québécoise des droits et libertés de la personne interdit toute discrimination basée sur l’orientation sexuelle. Malgré cela, de nombreuses travailleuses lesbiennes hésitent encore à sortir du placard. Se cacher ou s’affirmer : comment se vit l’homosexualité au féminin en milieu professionnel?

Photographie de Line Chamberland.
Difficile de sortir du placard quand, en plus de faire ses preuves comme femmes, on doit aussi s’affirmer comme homosexuelles, explique la chercheuse de l’UQAM, Line Chamberland.

Plaisanteries de mauvais goût, questions dérangeantes sur la vie privée, commentaires désobligeants, comportements violents : même si ces actes semblent de moins en moins fréquents, de nombreuses lesbiennes cachent leur orientation sexuelle, craignant d’être discriminées sur leur lieu de travail. C’est ce que révèle l’étude Stratégies des travailleuses lesbiennes face à la discrimination : contrer l’hétéronormativité des milieux de travail, publiée au .

« Cette recherche met l’accent sur les difficultés professionnelles que vivent les femmes homosexuelles ainsi que sur les stratégies adoptées pour les contrer. La situation des lesbiennes est différente de celle des hommes gais, car elles subissent une double discrimination », affirme Line Chamberland, professeure à l’UQAM qui a mené l’étude avec Christelle Lebreton et Michaël Bernier. Pourquoi double? Parce qu’elles doivent d’abord faire leurs preuves en tant que femmes, puis comme homosexuelles.

Le choix du silence

Selon la chercheuse, cette différence fondamentale explique en bonne partie le silence des lesbiennes. « Pour ne pas s’en mettre plus sur les épaules, elles choisissent de cacher leur homosexualité. Pour les gais, ça va se savoir à grande échelle, alors que les femmes sont plus protectrices et choisissent quelques personnes de confiance à qui en parler. C’est ce que j’appelle la recherche de confort psychologique. »

Même si elle n’a jamais connu de problèmes liés à son homosexualité, Laetitia, massothérapeute, a choisi de rester discrète. « Je ne suis déjà pas du genre à étaler ma vie privée au grand jour… En plus, mon travail est particulier : j’ai un contact physique et une grande proximité avec mes clients. Parmi eux, il y a beaucoup d’hommes d’un certain âge; je préfère ne rien dire pour ne pas subir les préjugés et les questions gênantes », explique la femme de 34 ans, qui fait référence aux clichés sexuels à propos des lesbiennes.

Pour Line Chamberland, ces clichés sont l’une des formes les plus fréquentes de discrimination que vivent les lesbiennes. « Des avances et du harcèlement sexuel peuvent découler de ces préjugés. Les lesbiennes sont encore associées à la bisexualité. Leur image est souvent construite à partir de la pornographie ou de vedettes bisexuelles sexy. Les gens pensent donc qu’elles vont montrer une grande ouverture sur le plan sexuel, en faisant des “trips” à trois, par exemple », rapporte la chercheuse.

Avec les mauvaises blagues, les propos qui expriment des préjugés sur les homosexuels constituent une forme de discrimination diffuse, selon Line Chamberland, car elle se manifeste au quotidien sans forcément prendre l’allure d’attaques personnelles. La majorité des répondantes à l’étude ont avoué en être victimes ou témoins. À cela s’ajoutent deux autres formes de discrimination : directe et violente. Ces dernières comprennent des actes de violence physique, le rejet ou l’atteinte à la réputation de la travailleuse. Les répondantes n’en ont que très rarement fait l’objet.

Ouverture graduelle

« En général, la situation s’améliore dans de nombreux secteurs socioprofessionnels. On constate plus d’ouverture dans les services comme les banques, les assurances et la santé, car ces secteurs d’activité ont à s’adapter à une nouvelle clientèle. En revanche, dans les milieux plus masculins, comme la construction, ça reste difficile, car un très fort climat d’homophobie règne », souligne la professeure.

Sylvie a fait l’expérience de cette fermeture à ses dépens. Quand elle travaillait comme conductrice d’autobus, son orientation sexuelle était en partie connue dans son milieu de travail. « Mes collègues faisaient souvent des blagues de “gouines”. Je leur disais que c’était lourd et j’allais boire mon café ailleurs », raconte celle qui a parfois eu peur pour sa sécurité. « On terminait de travailler tard le soir et notre entrepôt était un lieu épeurant. J’avais des collègues un peu louches et j’espérais qu’ils ne soient pas au courant pour mon homosexualité. On ne sait jamais ce qui peut arriver. »

Pendant plusieurs mois, elle a été harcelée par un collègue qu’elle qualifie de misogyne. Après de nombreuses séances de conciliation, la situation a empiré et son employeur a préféré la licencier avant qu’elle n’obtienne sa permanence. « J’ai ensuite voulu devenir conductrice de grue, mais j’ai choisi un milieu plus ouvert. Je pense que l’orientation sexuelle dirige nos choix de profession ou de lieu de travail. Toutes les lesbiennes que je connais sont dans le communautaire ou la culture. »

Pour améliorer la situation, Line Chamberland suggère plusieurs pistes. Comme sensibiliser les employeurs et créer des groupes LGBT (pour lesbiennes, gais, bisexuels, transgenres) dans les milieux de travail, comme le fait Fierté au travail. Cet organisme est partenaire de plus de 45 grandes entreprises à travers le Canada, qui ont mis en place des groupes où leurs employés, homosexuels ou non, peuvent échanger et trouver du soutien. « Ces groupes entraînent une plus grande ouverture chez les collègues », affirme Martine Roy, responsable au Québec de Fierté au travail et présidente de la Fondation Émergence, qui lutte contre l’homophobie au Québec. « De plus, ils amènent le sujet de l’homosexualité sur la table et permettent à certains et certaines de sortir du placard. »

Elle reconnaît toutefois que divulguer son orientation sexuelle n’est pas toujours évident. « Même moi, qui suis militante, j’hésite parfois à la révéler. Pourtant, j’essaie de prêcher par l’exemple et de m’affirmer le plus possible. »

À l’opposé, David Risse, président de la Coalition gaie et lesbienne du Québec, estime que la divulgation n’est pas forcément la solution. « Je ne pense pas qu’on puisse exiger plus de visibilité de la part des lesbiennes; c’est une stratégie très masculine de révéler son orientation. De plus, il y a un coût à l’affirmation qui peut être très lourd à porter. » Entre autres des conséquences sur la santé physique et mentale, ainsi que sur les plans social et professionnel.

David Risse recommande donc de travailler à l’échelle locale et humaine, dans le respect de la diversité. « Ce ne sont pas forcément les femmes qui s’affirment le plus qui vivent le plus de discrimination. Il faut donc essayer de les atteindre au moyen des services communautaires, par exemple en effectuant plus de recherche-action qui inclura leur participation sur tous les plans, aussi bien dans le choix et le suivi de recherche que dans les interventions à mener. On peut aussi favoriser des activités inclusives qui respectent la discrétion, comme des marches, des repas ou des forums de discussion. »

Malgré les interventions et les projets mis en place pour diminuer la discrimination, demeurer dans le placard ou en sortir demeure un choix difficile. Reste que sans divulgation, il est impossible de dresser la situation de la lesbophobie en milieu professionnel. Comme le souligne Martine Roy, « ce serait bien de démontrer qu’il n’y aurait pas forcément plus de discrimination si plus de femmes sortaient du placard ».