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Le Nord des femmes

Les femmes doivent faire partie du Plan Nord, soutient la présidente du Conseil du statut de la femme, Julie Miville-Dechêne.

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S’il a peu été question de l’apport des femmes à la réalisation des projets du Plan Nord, il n’est pas trop tard pour corriger le tir, soutient le Conseil du statut de la femme dans un avis qu’il vient de publier. Entretien avec la présidente de l’organisme, Julie Miville-Dechêne.

Le Conseil du statut de la femme rend aujourd’hui public l’avis Les femmes et le Plan Nord : pour un développement nordique égalitaire. Le document regroupe une série de recommandations visant à optimiser le potentiel du projet de développement du Nord québécois, afin qu’il profite à l’ensemble de la société québécoise par une plus grande égalité entre les hommes et les femmes.

Le Plan Nord est un projet ambitieux, et déjà bien amorcé. Dans le Nord-du-Québec, des dizaines de projets miniers en sont aux stades de la mise en valeur ou du développement. Leur réalisation engendre une grande effervescence économique et laisse présager l’exploitation prochaine de nombreuses mines. Toutefois, le rythme de ce développement est étroitement lié au prix des métaux, en baisse dans les derniers mois.

Le développement du Nord québécois est également promu comme un projet exemplaire de développement économique et durable. Le Plan Nord promet essentiellement trois choses : la mise en valeur de multiples ressources, le développement durable des ressources et du territoire, et la création d’emplois. Des projections auxquelles le Conseil répond par certaines mises en garde fondées sur des observations effectuées au fil de ses recherches. En effet, si aucune mesure n’est mise en place, les projets de développement du Plan Nord pourraient se traduire par davantage de conséquences négatives que de retombées positives sur la participation des femmes et, par ricochet, sur la vitalité sociale et économique de la société québécoise.

Pour alimenter la réflexion de l’organisme, la chercheuse responsable de l’avis, ses collaboratrices et la présidente elle-même se sont entretenues avec des personnes de différents milieux. L’avis que formule le Conseil au gouvernement du Québec se veut donc critique et soucieux de soulever les risques et les bénéfices possibles du Plan Nord pour celles dont il défend les intérêts : les femmes du Québec.

Gazette des femmes : Pourquoi est-ce crucial, selon le Conseil, que la participation des femmes aux différents chantiers du Plan Nord soit prise en considération?

Julie Miville-Dechêne : D’abord parce que les femmes représentent la moitié de la population, mais aussi parce que beaucoup de femmes habitent les localités nordiques touchées par le Plan Nord, sans oublier les communautés autochtones de ce territoire. Sachant qu’un vaste projet de développement provoquera un boom économique, que des emplois payants seront créés, pourquoi ne pas y faire participer les femmes?

Quels sont les risques que courent les femmes qui vivent dans le Nord-du-Québec si aucune mesure ne favorise leur contribution?

Ils sont multiples. Mettre les femmes à l’écart signifie qu’elles devront vivre aux côtés d’un conjoint qui, lui, risque fort de participer aux projets du Plan Nord et de gagner beaucoup d’argent. Ce serait très difficile pour les femmes qui vivent dans les localités du Nord, mais aussi pour les femmes autochtones, qui ont elles aussi besoin d’acquérir leur indépendance. Par exemple, des jeunes femmes qui ne peuvent espérer occuper un emploi bien rémunéré risquent de se dire : « Je m’occupe de la famille, je reste à la maison, je ne poursuis pas mes études. » Et s’ensuivent des conditions de vie sociales et financières plus que difficiles.

Le risque est également grand que les femmes demeurent cantonnées dans des emplois traditionnellement féminins (l’administration, l’entretien ménager, etc.), et les hommes, dans la production. C’est vrai au Québec et ailleurs au Canada. En Colombie-Britannique, où l’industrie minière prévoit une pénurie de main-d’œuvre, seulement 5 % de femmes occupent des emplois non traditionnels. De manière générale, le marché du travail canadien est fortement ségrégué. Et tant que cette polarisation perdure, les femmes n’améliorent pas leur situation financière. Il faut donc profiter de ce développement déjà bien enclenché pour leur donner des outils, afin qu’elles deviennent elles aussi indépendantes.

Au vu des investissements privés annoncés à ce jour, le développement du Nord est centré sur les mines et la construction. Or, les femmes comptent pour moins de 14 % de la main-d’œuvre dans les mines, et pour un peu plus de 1 % dans l’industrie de la construction. Elles semblent en outre peu enclines à s’y investir. Comment réagissez-vous à cette situation?

C’est une situation complexe. Vous l’avez dit, les femmes sont peu présentes dans ces secteurs et ne choisissent pas, ou très peu, les métiers non traditionnels. Pour comprendre, il faut aller à la source, notamment dans l’enfance et dans la représentation sociale des gars et des filles.

Car même si ça fait des années qu’il est question d’ouvrir ces champs-là aux femmes, ça ne fonctionne pas beaucoup… L’information circule-t-elle? Les conseillers en orientation font-ils miroiter suffisamment ces choix de carrière? Les femmes craignent-elles des obstacles à l’entrée dans ces métiers? Certaines ayant opté pour un métier dans la construction nous l’ont dit (NDLR : le Conseil publiera un avis sur la place des femmes dans les métiers de la construction au début de ) : même si elles réussissent à entrer dans ce domaine à force de persévérance et de courage, elles se retrouvent extrêmement minoritaires et souvent sujettes à du harcèlement.

Ces exemples nous poussent à dire qu’il faut agir en amont, dans les écoles, pour intéresser les filles à ces métiers non traditionnels. Ensuite, il faut les former, les préparer et suivre de près leur parcours professionnel afin d’éliminer, au besoin, d’éventuels obstacles qui pourraient compromettre leurs chances de réussite.

Mais le Plan Nord est à nos portes, et vous évoquez des mesures qui pourraient porter leurs fruits après des années. Peut-on mener des actions à court terme?

Bien sûr. Notamment par des formations ciblées dans les communautés autochtones et les localités visées par le Plan Nord. Ainsi, les femmes qui y vivent pourraient au moins avoir accès à une formation qui leur permettrait d’occuper un emploi bien rémunéré.

Le Conseil est aussi d’avis que les mines doivent participer à cet effort par un programme d’accès à l’égalité en emploi. Entendons-nous : nous ne sommes pas déconnectées de la réalité au point d’exiger que les femmes représentent 50 % de l’effectif. Viser la parité est irréaliste en raison d’un maigre bassin de recrutement. Mais nous pensons que le gouvernement pourrait exiger des entreprises minières un plan d’augmentation graduelle de la représentativité des femmes.

Cela se fait ailleurs au Canada. Depuis cinq ans, Terre-Neuve conclut des ententes écrites avec de grandes entreprises pétrolières, gazières et minières afin qu’elles embauchent davantage de femmes. Les dirigeants sont tenus d’établir des cibles chiffrées. Ils doivent s’engager à réaliser des progrès et en rapporter ponctuellement les résultats au gouvernement. Ces programmes fonctionnent très bien, selon ma vis-à-vis dans cette province. Mais il a fallu le coup de pouce du gouvernement pour que les entreprises s’y intéressent.

Xstrata Nickel, exploitant de la mine Raglan, a pour sa part mis sur pied un programme de mentorat il y a six ans, afin d’aider les femmes à grimper les échelons de l’entreprise. Xstrata tente aussi d’inclure trois femmes dans chaque équipe, de sorte qu’elles souffrent moins d’isolement dans ce milieu de travail très masculin.

Par ailleurs, le Comité condition féminine Baie-James (CCFBJ) a réalisé une initiative locale qui devrait servir de modèle. En collaboration avec le centre de formation professionnelle de la région et Emploi-Québec, le CCFBJ a organisé une tournée des écoles secondaires avec des femmes exerçant des métiers non traditionnels. L’idée, c’est que l’information circule. Le Comité a dit aux élèves féminines : « Il y a des emplois, il faut postuler, il faut vous préparer. » On ne dira jamais trop aux jeunes femmes que ces métiers sont offerts et qu’elles peuvent y accéder.

Il faut poser des gestes concrets. Car il est anormal que, dans un projet de développement qui s’échelonnera sur plusieurs années, les femmes se retrouvent dans des métiers de femme de chambre, de préposée à l’entretien ménager, alors que les hommes accèdent aux métiers plus payants.

Quelles conséquences négatives le Plan Nord pourrait-il entraîner?

L’activité économique en forte croissance se répercute notamment sur le marché du logement — les loyers sont hors de prix pour les travailleurs auxquels l’employeur ne fournit pas le logement —, en plus d’accroître la prostitution. Nous ne disposons pas de chiffres, mais plusieurs des personnes que nous avons interviewées ont constaté une augmentation de la prostitution sur la Côte-Nord en raison de l’afflux de travailleurs sur les chantiers. Et là-dessus, le Conseil est intraitable : ce grand développement ne doit pas engendrer une augmentation de la prostitution. C’est inacceptable. Il faut que ces phénomènes soient pris en considération, que le ministère de la Santé et des Services sociaux soit au fait des situations qui nuisent aux conditions de vie des femmes qui habitent le Nord, et qui entravent l’atteinte de l’égalité entre les sexes.

Le gouvernement pourrait-il utiliser d’autres leviers d’action pour que ce vaste plan de développement profite aussi aux femmes?

Instaurer la parité au conseil d’administration de la Société du Plan Nord serait un bon début. Car qui dit représentativité paritaire des femmes et des hommes dans les organismes de gouvernance dit aussi plus grande préoccupation à l’égard des femmes. Le gouvernement du Québec a lui-même donné l’exemple en exigeant la parité dans les conseils d’administration des sociétés d’État.

Il faut en outre que les besoins des femmes, notamment en matière de formation, d’emploi et de logement, soient entendus à la Table des partenaires du Plan Nord, qui regroupe des représentants du milieu municipal, des nations autochtones, des domaines économique et environnemental, du milieu scolaire et de la recherche, ainsi que des ministères et des organismes concernés par ce vaste projet. Le mandat de la Table est d’établir les bases d’un nouveau partenariat avec les communautés du Nord.

Enfin, une vaste campagne publicitaire destinée aux femmes qui présenterait les occasions d’emploi dans des métiers non traditionnels sur les territoires visés par le Plan Nord pourrait s’avérer un bon levier d’action.

Que souhaitez-vous que le gouvernement du Québec retienne plus que tout de l’avis que vous rendez public aujourd’hui?

On sait que le gouvernement nouvellement élu a été assez critique vis-à-vis de certains éléments du Plan Nord. On espère donc obtenir une oreille attentive au sort des femmes dans ce grand projet de la part de la première ministre, Pauline Marois, de la ministre responsable de la Condition féminine, Agnès Maltais, ainsi que de la ministre des Ressources naturelles, Martine Ouellet. Bien que le développement du Nord soit déjà amorcé, nous souhaitons que le gouvernement retienne qu’il n’est pas trop tard pour ajuster le tir afin que les femmes en fassent partie.

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