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La guerre aux femmes

Tout ne tourne pas rond au pays de l’Oncle Sam. Violence faite aux femmes, précarité économique…

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Entre les déclarations choquantes de politiciens et les projets de loi qui menacent l’accès à l’avortement dans une trentaine d’États, les Américaines s’inquiètent de leurs droits. Avec raison.

Erin Matson, jeune féministe et vice-présidente de la National Organization for Women, est catégorique : « L’année 2012 a été très chaude pour la situation de la femme aux États-Unis. Politiquement parlant, ça a été une année horrible. Des questions comme le contrôle des naissances sont redevenues controversées pour la première fois depuis les années 1960. »

Comme Erin, de plus en plus d’Américaines dénoncent les dérapages de certains politiciens et le retour à des discours archaïques. En février, le populaire animateur de radio américain Rush Limbaugh a fait scandale en traitant de slut (« salope ») Sandra Fluke, une étudiante en droit de l’Université de Georgetown et militante pour le droit à la contraception. Le républicain Todd Akin, fervent détracteur du droit à l’avortement, a quant à lui provoqué un tollé et déclenché la colère des Américaines en déclarant, lors d’une entrevue télévisée, que le corps des femmes avait la capacité d’empêcher une grossesse dans le cas d’un « viol légitime » (legitimate rape). Des incidents qui ont ramené la question féminine au cœur du débat politique, autant du côté républicain que démocrate.

Photographie de Mme Erin Matson.

« Des questions comme le conrôle des naissances sont redevenues controversées pour la première fois depuis 1960. »

— Erin Matson.

L’avortement dans la mire

Pour les activistes, la première bataille à mener est celle de la santé et des droits liés à la reproduction. Ceux-ci ont subi les pires attaques au cours de la dernière année, selon Erin Matson. Le Guttmacher Institute confirme que le paysage politique en matière d’avortement s’est récemment transformé de façon radicale aux États-Unis. Selon le rapport Troubling Trend: More States Hostile to Abortion Rights as Middle Ground Shrinks publié par l’organisme l’hiver dernier, la moitié des Américaines en âge de procréer vivent dans un État opposé à l’avortement. Et 92 réglementations qui restreignent ou compliquent l’accès à l’interruption volontaire de grossesse ont été votées dans plusieurs des 50 États américains en 2011. Parmi elles : l’échographie préalable et le consentement parental obligatoires, ainsi que le non-remboursement d’un avortement par les fonds publics.

Photographie de Mme Katie Halper
Pour Katie Halper, activiste féministe et cofondatrice de Laughing Liberally, les récents dérapages de certains politiciens mettent en évidence les problèmes profonds de la société américaine.

De quoi donner froid dans le dos aux activistes féministes comme Katie Halper, qui n’hésite pas à parler d’une véritable guerre contre les femmes. « Les atteintes à tout ce qui touche à la reproduction, les nouvelles réglementations en matière d’avortement, les tentatives de réduire le financement du Planned Parenthood [NDLR : une association à but non lucratif qui fournit des services en santé reproductive et maternelle], tout cela fait vraiment peur », déclare la cofondatrice de Laughing Liberally, un groupe d’humoristes politiques.

Peu de soutien aux victimes

Pour Katie Halper et Erin Matson, les récents dérapages de politiciens comme celui de Todd Akin sont symptomatiques de maux bien ancrés dans la société américaine. « Il y a une épidémie de viols et d’agressions sexuelles dans notre pays, comme partout dans le monde. Malheureusement, aux États-Unis, on a encore tendance à blâmer les victimes et à ne pas croire les femmes. Deux femmes sur cinq seront victimes de viol avant d’obtenir leur diplôme universitaire. Et en parallèle, vous avez des politiciens comme Todd Akin, un membre du Congrès, candidat républicain au Sénat, qui causent de “viol légitime” à la télévision! » s’indigne Erin Matson.

Les militantes sont loin de parler à tort et à travers. Selon un rapport des Centers for Disease Control and Prevention, près d’une Américaine sur cinq sera violée au cours de sa vie. Un total de 22 millions de femmes. Plus inquiétant encore, plus de la moitié des victimes sont violées par leur partenaire. Et une Américaine sur trois est ou a été victime de violence sexuelle, physique ou de harcèlement de la part d’un partenaire.

Malgré ces chiffres alarmants, les républicains ont retiré pour la première fois leur soutien à la loi contre la violence faite aux femmes, le Violence Against Women Act (VAWA). Votée en 1994, la loi soutient différents services destinés aux victimes : centres de crise pour les victimes de viol, logements temporaires pour les victimes de violence familiale, programmes de lutte contre les violences faites aux personnes handicapées. Cette année, la Chambre des représentants, majoritairement républicaine, a tenté d’introduire une version plus rétrograde de la loi, qui exclut plusieurs protections concernant les homosexuels, les immigrants et les étudiants. « Avec cette version du VAWA, il aurait été presque impossible de poursuivre la plupart des auteurs de viols ayant eu lieu sur les réserves amérindiennes. Cette version aurait aussi supprimé d’importantes mesures de protection et de confidentialité pour les immigrants sans papiers qui rapportent leur viol et coopèrent avec les autorités judiciaires. Pourtant, il y a un million de viols chaque année dans notre pays, et on estime que la moitié des cas ne sont pas rapportés », s’indigne Erin Matson.

Mais tout n’est pas noir. Selon Katie Halper et Erin Matson, plusieurs réformes du système de santé instaurées grâce au Patient Protection and Affordable Care Act (PPACA), également appelé Obamacare, sont de bon augure pour les Américaines. « De grands pas vers l’avant sont franchis avec l’Obamacare : toutes les compagnies d’assurance devront désormais couvrir les visites médicales liées à la santé féminine et le dépistage du diabète de grossesse, en plus de rembourser les frais de contraception. Et grâce à la nouvelle loi, les compagnies d’assurance ne pourront plus discriminer les femmes en leur faisant payer des cotisations plus élevées que celles des hommes », relate Matson, qui explique que les Américaines paient en moyenne un milliard de dollars de plus que les hommes pour leur assurance médicale chaque année. Un écart basé sur le fait que les femmes ont généralement davantage recours aux soins de santé, souvent en lien avec la maternité.

Précarité économique… et politique

La présence des femmes sur le marché du travail a grandement augmenté au cours des dernières décennies. Elles contribuent aujourd’hui considérablement au revenu familial. Pourtant, leur salaire demeure moins élevé que celui de leurs collègues masculins. Selon un rapport du White House Council on Women and Girls publié en avril 2012, les Américaines ne toucheraient toujours que 77 cents pour chaque dollar gagné par leurs confrères. Une situation qui, en plus d’affecter leur pouvoir d’achat, réduit leur épargne retraite et leur fonds de pension. Cette année, le projet de loi Paycheck Fairness Act, qui aurait entre autres obligé les employeurs à prouver que toute différence entre le salaire d’un homme et d’une femme occupant les mêmes fonctions n’est pas liée au sexe de l’employé, a été rejeté pour la seconde fois par le Sénat américain. Une institution qui ne compte d’ailleurs que 90 femmes sur un total de 535 sièges.

Un homme sur une pile d’argent plus haute que celle d’une femme à côté.
Les Américaines ne toucheraient toujours que 77 cents pour chaque dollar gagné par leurs confrères.

Une proportion étonnante? Pas aux États-Unis. Car si les travailleuses américaines ont investi la plupart des secteurs d’activité, elles demeurent sous-représentées en politique. Selon un rapport publié en 2011 par l’Union interparlementaire, qui œuvre pour la paix et la coopération entre les peuples et l’affermissement de la démocratie représentative, les États-Unis occupent le 91e rang en termes de représentation féminine dans les institutions politiques nationales. « Les pays qui ont imposé des quotas, tels que le Rwanda, la Suède ou encore la Belgique, et qui utilisent des systèmes de représentation proportionnelle comptent en général beaucoup plus de femmes au sein de leurs institutions politiques. Ce n’est pas le cas aux États-Unis, où les quotas sont souvent perçus comme anti-démocratiques », explique Melanie Hughes, professeure adjointe en sociologie à l’Université de Pittsburgh et coauteure du livre Women, Politics, and Power: A Global Perspective. « Aux États-Unis, les gens croient que tout le monde naît égal et qu’il suffit de travailler très fort pour arriver à son but. Le simple terme quota les rend mal à l’aise. »

Cette sous-représentation chronique des femmes dans la politique américaine soulève pourtant des préoccupations en ce qui a trait à la légitimité démocratique, selon l’étude Men Rule: The Continued Under-Representation of Women in U.S. Politics de l’American University de Washington, publiée en 2012. « Les Américaines démontrent en général moins d’intérêt que les hommes pour la politique. Elles perçoivent ce domaine comme principalement masculin, étant donné que ce sont des hommes qui occupent la majorité des postes politiques. Dans les pays qui comptent beaucoup de femmes en politique, les jeunes filles semblent s’y intéresser davantage. Le système des quotas pourrait donc inverser la tendance », souligne Melanie Hughes.

À quelques semaines des élections présidentielles, la priorité d’Erin Matson est de mobiliser les femmes et de les encourager à s’inscrire sur les listes électorales pour qu’elles puissent voter. « Cette année a été extrêmement mouvementée pour les femmes. Nous sommes au centre d’un important débat sur le statut de la femme dans la société et plusieurs sont en train d’adopter des visions très archaïques. Pour l’instant, notre priorité, ce sont les élections présidentielles. Nous travaillons très fort à sensibiliser les femmes à l’importance d’aller voter. »

Car dans ce pays où certains de leurs droits sont devenus un enjeu politique, les femmes doivent faire entendre leur voix. Haut et fort.