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La pauvreté guette 20 % des futurs retraités québécois. Mais les femmes n’ont pas dit leur dernier mot.

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Personne n’a envie de vivre de tartines au beurre d’arachide après avoir définitivement dit « bye-bye boss ». Pourtant, la pauvreté guette 20 % des futurs retraités québécois. Grâce à diverses mesures, l’État pourrait les aider à profiter pleinement de ce repos mérité.

Une récente étude de McKinsey & Company a révélé qu’un Québécois sur cinq manquera d’argent à la retraite. La firme spécialisée en management a établi quatre mesures gouvernementales qui contribueraient à améliorer la préparation à la retraite des ménages, au point de diminuer de moitié — à 11 % — le nombre de Québécois qui devront se serrer la ceinture durant leurs vieux jours.

  1. Créer un régime enregistré d’épargne-retraite (REER) obligatoire

    Dans ce scénario, tous les travailleurs auraient accès à un REER offert par leur employeur (prestations et cotisations déterminées, REER collectif ou régime ivalent) et adhéreraient automatiquement au régime à un taux d’épargne par défaut. Ils pourraient refuser d’y participer ou augmenter le taux d’épargne. « L’adhésion automatique accroîtrait le pourcentage de ménages épargnant pour leur retraite et aurait des répercussions à long terme pour les jeunes puisqu’ils disposeraient de plus de temps pour épargner », avance Fabrice Morin, coauteur de l’étude Les Canadiens sont-ils prêts pour la retraite? État de la situation et principes directeurs d’amélioration (2012).

  2. Inciter les gens à épargner davantage.

    Il s’agirait de rendre plus intéressant, sur le plan financier, le fait de mettre de l’argent de côté pour ses vieux jours sur une base régulière. Comment? Par la mise en place de nouveaux produits d’épargne et plus d’information sur l’épargne.

  3. Retarder le départ à la retraite.

    Le temps passé à la retraite s’allonge à mesure que croît l’espérance de vie, ce qui augmente le risque d’appauvrissement des personnes âgées. Pour contrer cela, plusieurs mesures peuvent être envisagées. Comme repousser l’âge officiel de la retraite, ce que vient d’ailleurs de faire le gouvernement fédéral : entre 2023 et 2029, cet âge passera graduellement de 65 à 67 ans. Toujours d’après McKinsey & Company, on pourrait aussi augmenter le montant des prestations du régime public en cas de départ repoussé à la retraite. Ou inciter les entreprises à garder plus longtemps leurs employés les plus âgés.

  4. Accroître les cotisations au Régime de rentes du Québec (RRQ) et au Régime de pensions du Canada (RPC).

    Cette mesure concernerait tant les employés que les employeurs. Elle permettrait soit d’augmenter directement les revenus à la retraite des ménages, en bonifiant les programmes fédéraux et provinciaux, soit d’élargir la portée de ces programmes.

Une combinaison nécessaire

Malheureusement, l’application d’une seule de ces mesures ne suffit pas. Pour diminuer de moitié le nombre de Québécois en proie à des difficultés financières sérieuses à la retraite, les experts de McKinsey ont calculé qu’il faudrait que :

  • 2 % du salaire des travailleurs soit versé dans un REER obligatoire;
  • tous les Québécois consacrent 2 % de plus de leur revenu actuel à leur épargne personnelle;
  • l’âge officiel de la retraite soit repoussé de trois ans et demi (presque le double de ce qu’a décidé le gouvernement fédéral);
  • la part du salaire consacrée au RRQ et au RPC augmente de 2 %.

« Il faut voir ces mesures comme quatre leviers que l’on peut manipuler à sa guise pour atteindre l’objectif visé. On peut en faire bouger un plus que les autres, si l’on souhaite, par exemple, intervenir plus en faveur d’une tranche particulière de la population. Pour venir en aide spécifiquement aux femmes à faible revenu, par exemple, il suffirait de bouger les leviers d’une manière précise, explique Fabrice Morin. N’utiliser qu’un seul levier, comme celui permettant de repousser l’âge officiel de la retraite, n’est pas suffisant pour être efficace. Il faut impérativement tenir compte des quatre pour optimiser leurs effets. »

Le RVER : bonne ou mauvaise solution?

Que penser dès lors du nouveau Régime volontaire d’épargne-retraite (RVER) annoncé dans le dernier budget du ministre Raymond Bachand? Le projet de loi no 80, Loi sur les régimes volontaires d’épargne-retraite, a été déposé à l’Assemblée nationale en juin par le gouvernement sortant. Le processus d’étude de ce projet a été interrompu par la dissolution de l’Assemblée nationale, le 1er août dernier par le lieutenant-gouverneur, avant la tenue des élections. Le RVER visait les employés et les travailleurs autonomes non couverts par un régime de retraite collectif, soit quelque 2 millions de personnes au Québec. Ce projet de loi prévoyait d’offrir le RVER dès le 1er janvier 2013.

A priori, l’idée d’inciter tout le monde à mettre de l’argent de côté pour ses vieux jours paraît intéressante. D’autant plus que le ministre Bachand a affirmé dans son budget qu’avec une cotisation de 4 % du salaire entre 25 et 65 ans, on pouvait faire passer son taux de remplacement du revenu de 48 à 66 %, une fois à la retraite. Le hic? « Un tel résultat serait possible à condition que le taux de rendement du RVER, net des frais de gestion, soit de 5,75 % durant 40 ans. Est-ce un scénario réaliste? » s’interroge dans un rapport l’économiste Michel Lizée, du Service aux collectivités de l’UQAM.

Photographie de M. Michel Lizée.
« Dans les pays où des dispositifs de retraite privés ont été mis en place, l’adhésion automatique fonctionne parce que le salarié double sa mise avec les cotisations de l’employeur et une aide de l’État. Ici, rien. »
 — Michel Lizée, économiste au Service aux collectivités de l’UQAM

De plus, l’employeur est libre de cotiser ou non au RVER. Ce régime présente donc nettement moins d’intérêt que ses deux modèles, le KiwiSaver (Nouvelle-Zélande) et le Nest (Grande-Bretagne). « Pour le premier, si le salarié cotise, par exemple, 2 %, l’employeur est tenu de cotiser 2 % lui aussi; pour le second, si le salarié cotise 4 %, l’employeur est tenu de cotiser 3 % et une aide fiscale de 1 % s’ajoute », indique M. Lizée. Il enfonce le clou : « Dans ces pays, l’adhésion automatique fonctionne parce que le salarié double sa mise avec les cotisations de l’employeur et une aide de l’État. Ici, rien. »

Voilà pourquoi plusieurs voix s’élèvent déjà contre le RVER. « Nous dénonçons vivement la fausse solution du RVER, car ce n’est pas ce genre de mesure qui permettra d’assurer une retraite décente pour toutes et tous », lance Carole Henry, porte-parole de l’organisme Au bas de l’échelle. Berthe Lacharité, coordonnatrice de projet à l’organisme de formation, de recherche et de concertation Relais-femmes, abonde dans le même sens : « C’est nettement insuffisant. Et une fois de plus, c’est une mesure qui ne reconnaît pas le travail non rémunéré des femmes. » Quant au Conseil du statut de la femme, il a fait savoir par communiqué de presse qu’il craignait que l’orientation du gouvernement du Québec en matière de régimes de retraite ne soit pas équitable envers les femmes, surtout qu’aucune étude n’a été réalisée pour mesurer les répercussions du RVER sur elles. L’organisme a alors rappelé que les femmes qui travaillent à temps plein gagnent 79 % du revenu moyen de leurs collègues masculins, et ont donc une moins grande capacité à contribuer à de tels régimes.

Une retraite à l'abris des soucis

Les femmes cogitent

En avril dernier, une quinzaine d’organismes de femmes se sont joints à la campagne « Une retraite à l’abri des soucis » lancée par la Fédération des travailleurs et travailleuses du Québec (FTQ). Ils défendaient trois revendications précises :

  1. Bonifier le Régime de rentes du Québec afin qu’il compense non pas 25 mais 50 % des revenus de travail. Cela serait possible en augmentant d’environ 3 % le taux de cotisation des employés et des employeurs.
  2. Bonifier le Supplément de revenu garanti (SRG) fédéral d’au moins 15 %.
  3. Sécuriser les rentes des régimes complémentaires de retraite en modifiant la Loi sur les arrangements avec les créanciers des compagnies, afin qu’une caisse de retraite soit un créancier prioritaire en cas de faillite d’une entreprise.

« Si l’on n’adopte pas de telles mesures, il y a un risque élevé que les prochaines cohortes de femmes retraitées soient plus pauvres, ou du moins plus fragilisées sur le plan financier que celles d’aujourd’hui », estime Ruth Rose, professeure associée de sciences économiques à l’Université du Québec à Montréal.

Photographie de Mme Ruth Rose.
« Sans mesures spécifiques pour les femmes, il y a un risque élevé que les prochaines cohortes de femmes retraitées soient plus pauvres, ou du moins plus fragilisées sur le plan financier que celles d’aujourd’hui. »
 — Ruth Rose, professeure associée de sciences économiques à l’UQAM

Dans la foulée de la campagne électorale provinciale, le Groupe des 13, une table de concertation de regroupements et d’organismes nationaux de femmes, a déterminé cinq enjeux à propos desquels il faudrait interpeller les partis politiques, tout en exposant ses revendications. En matière de retraite, le groupe a suggéré de relever l’exemption de cotisation au RRQ de 3 500 à 7 000 $ pour alléger les répercussions de la hausse des contributions pour les bas salariés. Il a aussi insisté sur la nécessité de négocier avec le gouvernement fédéral afin que ce dernier ne réduise pas le montant des chèques provenant du Régime de pensions du Canada et de la Sécurité de la vieillesse et ne relève pas l’âge de la retraite.

« En raison du baby-boom, on va assister dans les prochaines années à une arrivée massive des femmes à la retraite, et avec elles, des revendications qu’elles souhaiteront exprimer et faire aboutir. Elles le voudront d’autant plus qu’elles sont en train de prendre conscience que leur fin de vie risque d’être plus dure que ce qu’elles avaient imaginé », lance Berthe Lacharité, de Relais-femmes. Et comme cette génération de femmes est celle qui a réussi à obtenir les plus grandes avancées sociales de l’histoire dans la société occidentale, il semble clair que le dossier de la retraite au féminin est loin d’être clos…

L’ADS, la grande oubliée

L’an dernier, le gouvernement provincial a lancé le Plan d’action en matière d’analyse différenciée selon les sexes 2011-2015. Son objectif? Encourager les instances gouvernementales à se préoccuper davantage de l’égalité entre les femmes et les hommes dans leurs façons de faire et leurs décisions. « Cette approche consiste à s’assurer que l’impact des lois, des politiques, des programmes et des services publics dans leur ensemble favorise l’égalité entre les sexes, ou n’y contrevient pas », indique le plan. Une approche « incontournable », selon Ruth Rose, professeure associée de sciences économiques à l’Université du Québec à Montréal.

Une seule des 35 mesures du plan concerne la retraite : la mesure no 32 vise à instaurer l’analyse différenciée selon les sexes (ADS) dans les modifications à apporter au Régime de rentes du Québec. Tous les six ans depuis 1998, une consultation publique a lieu en commission parlementaire pour analyser la situation du régime et dégager des propositions d’amélioration. À la prochaine consultation, la rédaction d’un document préliminaire tenant compte de l’ADS est prévue.

L’ennui, c’est que l’élaboration de ce document n’est guère avancée. « Il est trop tôt pour en parler. La prochaine consultation publique devrait avoir lieu en 2014 ou en 2015, pas avant », explique Pierre Turgeon, porte-parole de la Régie des rentes du Québec.

La mesure no 32 est la seule, parmi toutes les mesures lancées par le gouvernement Charest à propos de la retraite, à intégrer la notion d’ADS. Pourquoi cela, d’autant plus qu’on aurait pu l’envisager, par exemple, pour le Régime volontaire d’épargne-retraite (RVER) concocté par le ministre Bachand? « Ça n’avait pas lieu d’être dans ce cas-ci. Le RVER est un régime volontaire, comme son nom l’indique. Il vise à inciter tant les femmes que les hommes à mettre de l’argent de côté pour leur retraite, et non à améliorer la situation des uns ou des autres », dit M. Turgeon, sans pouvoir expliquer pourquoi le gouvernement sortant semblait peu se soucier des différences entre les femmes et les hommes au moment de la retraite. « Avec l’arrivée d’un nouveau gouvernement à la tête du Québec, le processus du RVER devra de toute façon repartir de zéro », ajoute-t-il.

Reste donc à voir si l’avènement de Pauline Marois comme première ministre changera la donne et mettra, entre autres, l’ADS plus en avant…

L’audace a du génie

En matière d’initiatives qui pourraient aider des femmes à accéder à une retraite décente, le Régime de retraite par financement salarial des groupes communautaires et de femmes (RRFS-GCF) retient l’attention. Ce régime complémentaire aux régimes publics de retraite est entré en vigueur le 1er octobre 2008, à l’initiative d’un regroupement de groupes communautaires et de femmes, dont près de 90 % des membres sont des femmes.

Sa mise sur pied a été coordonnée par Relais-femmes et par le Centre de formation populaire, avec le soutien pédagogique et technique du Service aux collectivités de l’Université du Québec à Montréal. Le caractère novateur du régime lui a d’ailleurs valu le Plan Sponsor Award 2010 décerné par la revue canadienne Benefits Canada.

Le régime s’adresse aux personnes salariées des groupes communautaires et de femmes, mais également au personnel du secteur de l’économie sociale et des organismes sans but lucratif. La participation de l’employeur est facultative; s’il cotise, sa participation doit être égale ou supérieure à la cotisation salariale. Les personnes salariées couvertes par le régime sont toutefois tenues d’y participer.

Le RRFS-GCF est représenté par la coalition formée de la Fédération des travailleurs et travailleuses du Québec et de plus de 80 organismes qui ont lancé la campagne « Une retraite à l’abri des soucis ». Les membres du comité de retraite du régime ont aussi participé activement à la campagne menée par la Fédération des femmes du Québec pour l’amélioration des régimes publics de retraite. Dans leur rapport annuel, ils soutiennent que « si la proposition concernant le Régime de rentes du Québec avait été retenue, la rente québécoise annuelle maximum aurait été portée à 31 500 $ pour une personne prenant sa retraite avec un salaire de 66 000 $, alors que le maximum annuel actuel pour une personne qui gagne 50 100 $ est de 11 840 $ ». Les membres ont également déposé un mémoire au Comité sur l’avenir des régimes complémentaires de retraite, un comité provincial présidé par Alban D’Amours et constitué de sept membres masculins. Ce faisant, ils souhaitent exprimer au gouvernement leurs craintes à l’égard d’une possible conversion des régimes à prestations déterminées déficitaires en régimes à prestations cibles. Un changement qui pourrait gruger dans les rentes des travailleuses et travailleurs chaque fois qu’un régime serait confronté à un déficit. (Nathalie Bissonnette)

Le RRFS-GCF en chiffres

  • Groupes adhérents : 386
  • Participants et participantes : 3 014 (87 % de femmes)
  • Salaire de base moyen : 32 400 $
  • Taux moyen de cotisation salariale : 2,1 %
  • Taux moyen de cotisation patronale : 2,9 %

Source : Rapport annuel 2011 du Régime de retraite des groupes communautaires et de femmes