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Mère : un rôle à reconnaître

La Gazette des femmes a osé s’intéresser au vécu des mères à la maison.

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Je l’admets. À une certaine époque, j’ai porté un jugement sévère sur le choix que faisait une voisine : rester à la maison pour s’occuper de ses deux enfants et en mettre au monde un troisième. Une décision qui l’a conduite à quitter son emploi dans la fonction publique. De mon point de vue, ce choix signifiait fragiliser son autonomie financière, mais aussi sacrifier une part d’elle-même à une tâche que j’estimais beaucoup moins valorisante que d’occuper un « vrai » travail, rémunéré et productif pour la société. Où est l’intérêt, me disais-je? Se rend-elle compte des difficultés qui l’attendent lorsque les enfants auront grandi? Des années plus tard, voilà que je traite des mères au foyer dans un webzine féministe. C’est mon karma, j’imagine.

Au cours des derniers mois, plusieurs éléments ont capté l’attention de la Gazette des femmes au sujet des mères à la maison : le mémoire de maîtrise de la sociologue Annie Cloutier, Mères au foyer de divers horizons culturels dans le Québec des années 2000. Représentations en matière de choix, d’autonomie et de bien-être, une bonne quantité d’articles publiés dans divers médias et la prolifération de sites et de blogues pour mamans sur Internet. Il nous a semblé que cette réalité ne pouvait plus être occultée : un certain nombre de Québécoises scolarisées prennent sciemment la décision de rester à la maison avec leurs enfants pendant une période qui déborde le congé de parentalité prévu par le Régime québécois d’assurance parentale.

Photographie de 3 mères avec leur enfant dans une poussette.
Si elles ne souffrent pas réellement du peu de valorisation de leur rôle, les jeunes mères aimeraient toutefois que leur contribution soit culturellement et socialement reconnue, en plus d’être soutenue par l’État.

À première vue, cette option s’éloigne de certaines valeurs chères au féminisme (l’autonomie financière, l’accomplissement par le travail, la contribution à la société au même titre que les hommes). Par ailleurs, est-ce légitime de discuter d’un tel choix, alors que tant de femmes non scolarisées restent à la maison par dépit, car travailler à l’extérieur s’avère trop dispendieux pour elles? Malgré cela, la Gazette des femmes a osé s’intéresser au vécu de ces mères et écouter leurs propos. Après tout, avoir le choix, c’est en partie l’héritage du féminisme.

Une courte annonce parue sur le mur Facebook du Groupe Maman a suffi à inonder ma boîte de courriels de messages provenant de mères à la maison prêtes à défendre leur choix bec et ongles. Leur enthousiasme nous est apparu comme un cri du cœur pour dire leur réalité et communiquer leur vision des choses. Après nous être entretenues avec quelques-unes, nous avons aussi saisi tout le culot qu’elles ont eu de faire un choix en marge du modèle dominant (la mère travailleuse salariée), en plus de passer outre à l’image dévalorisante de la mère au foyer. Certaines en ont entendu de toutes les couleurs : « Toi, on sait bien, maintenant que tu te fais entretenir par ton chum » ou « Je serais incapable de rester à la maison à ne rien faire »(!!!).

Pas étonnant que toutes les jeunes mères à qui nous avons parlé aient déploré le peu de valorisation du rôle qu’elles tiennent auprès de leurs enfants. Si elles n’en souffrent pas réellement, elles aimeraient toutefois que leur contribution soit culturellement et socialement reconnue, en plus d’être soutenue par l’État. N’est-ce pas une noble tâche que d’assurer la pérennité de notre espèce et d’éduquer les adultes de demain? Et ces mères à la maison sont loin de ne rien faire, même si leur emploi du temps a pour valeurs phares le bien-être des enfants et de la famille, l’harmonie entre leur tête et leur cœur. Certaines s’impliquent dans leur communauté, d’autres siègent à un conseil d’administration.

Père : un rôle à prendre

À propos de l’engagement des pères, impossible de me taire. J’ai donc demandé à quelques mères qui me disaient avoir pris cette décision d’un commun accord avec leur conjoint s’il avait été question que ce soit lui qui demeure à la maison. Réponse unanime : non. Pour plein de raisons : « C’est moi qui le voulais ainsi »; « Il ne l’aurait pas fait »; « C’est comme ça ». On est d’accord : la grossesse, l’accouchement et l’allaitement, c’est et ce sera, à moins de stupéfiantes avancées scientifiques, l’apanage des femmes. Mais tout le reste — les couches, le lavage des biberons, la préparation des purées, le bain du soir, les berceuses, les rendez-vous chez le pédiatre —, personne n’a dit que c’était réservé aux mères. Les soins aux autres, ce ne doit plus être qu’une affaire féminine.

Resterais-je à la maison si j’avais des enfants aujourd’hui? Je ne sais pas. Chose certaine, mon regard sur ces femmes a changé. On ne peut que s’incliner devant un tel désir d’être en harmonie avec ses valeurs, d’offrir à ses enfants un environnement calme, un rythme de vie plus équilibré que celui imposé par la course folle du boulot-garderie-dodo.

D’ailleurs, je pense qu’elles peuvent nous inciter à rêver d’un arrimage plus flexible entre le travail et les besoins des mères — et des pères —, et pour qui une solution unique est inadéquate. Et à cesser de juger toute incartade par rapport au modèle prisé par et pour la majorité.

Les mères au foyer risquent-elles de faire reculer la situation des femmes sur le marché du travail? Ou sont-elles les initiatrices d’une nouvelle forme de conciliation de la vie professionnelle et familiale? La Gazette des femmes a demandé l’avis de sociologues, de philosophes, de féministes, de spécialistes de la conciliation travail-famille, en plus d’écouter plusieurs jeunes mamans témoigner de leur réalité. À vous de juger!