Aller directement au contenu

Athlètes féminines en remontée

Cet été à Londres, toutes les disciplines des Jeux olympiques seront ouvertes aux femmes.

Date de publication :

Auteur路e :

Grande première : cet été à Londres, toutes les disciplines des Jeux olympiques seront ouvertes aux femmes. Le sport d’élite a-t-il enfin atteint l’équité?

La question fait bien rigoler la plongeuse triple médaillée olympique Émilie Heymans, qui sort tout juste de la piscine du Stade olympique de Montréal. « Est-ce que les hommes et les femmes sont égaux dans le sport? Je ne sais pas si j’ai quelque chose à dire là-dessus! » Dans sa tête, pas de doute, elle n’a pas connu plus d’embûches que ses collègues masculins qui plongent encore du tremplin de trois mètres, derrière elle.

Le sport est en effet beaucoup plus accessible pour les athlètes féminines aujourd’hui. Pour chaque discipline, des équipes de femmes ou des cours pour femmes existent. Aux Olympiques aussi, le changement s’opère : aux Jeux de Londres, cet été, environ 45 % des athlètes seront des femmes. Le taux était de 15 % aux Jeux d’été de , à Munich.

La hockeyeuse médaillée olympique Caroline Ouellette, née en , a vu ce changement se concrétiser. Quand elle était petite, il n’y avait pas d’équipes de hockey de filles, encore moins d’idoles féminines. « Au moins, j’avais le droit de jouer avec les gars, contrairement aux générations avant moi, raconte-t-elle avant de monter sur la glace de l’aréna McConnell pour une partie des Stars de Montréal. Je passais pour un garçon manqué et j’avais droit à plein de commentaires machos. Maintenant, les filles jouent dans des équipes féminines, elles viennent regarder nos matchs et sont fières. » Elle a constaté tout un revirement : de « pas cool », le hockey féminin est devenu admiré, en partie depuis qu’il est présenté aux Olympiques ().

Loin de la coupe aux lèvres

Malgré ces avancées, des inégalités persistent. Par exemple, les équipes et les athlètes masculins attirent toujours plus les foules que leurs vis-à-vis féminins. Et Krystina Alogbo, capitaine de l’équipe canadienne de water-polo, avoue avoir déjà remarqué que les commanditaires hésitaient plus à appuyer son équipe que celle des hommes.

L’athlète déplore surtout que seules 8 équipes de water-polo compétitionnent aux Olympiques chez les dames, contre 12 chez les hommes. « Le water-polo féminin est présenté aux Olympiques seulement depuis . Avec le temps, le Comité international olympique (CIO) va probablement nous laisser être 10 puis 12 équipes, mais est-ce que les gars vont alors atteindre le nombre de 16 équipes? » s’interroge la capitaine.

Au tremplin aussi, les hommes sont favorisés : ils font un plongeon de plus que les femmes. Quant à la boxe, dernière discipline à s’ouvrir aux dames cette année, elle comptera 3 catégories pour les femmes contre 10 pour les hommes.

Photographie de Mme Guylaine Demers.
Selon la professeure en éducation physique de l’Université Laval, la faible présence des femmes dans les associations sportives s’explique notamment par le manque de mesures qui facilitent la conciliation travail-famille.

Le sport féminin souffre surtout de comparaison aiguë avec le sport masculin. Pour Guylaine Demers, professeure au Département d’éducation physique de l’Université Laval, c’est comparer des pommes et des oranges. « Les gens évaluent le hockey féminin comme s’il avait 50 ans d’histoire, ce qui n’est absolument pas le cas. Je dis souvent aux hommes de se rappeler le niveau du hockey masculin en , quand le Canada a gagné contre l’URSS lors de la Série du siècle. Ça ressemble au hockey féminin des années , qui a une courte histoire. »

Il faut également reconnaître que le corps des hommes et celui des femmes ont leurs particularités. « Mon entraînement est le même que celui de Sidney Crosby, mais je ne serai jamais aussi grande, aussi puissante, aussi rapide que lui, relate Caroline Ouellette. Alors le jeu est différent. » Et tout aussi intéressant pour qui prend la peine de s’y attarder!

Corps accord

Le corps féminin est un outil de promotion largement utilisé en publicité. Le monde du sport n’y échappe pas. Au volleyball de plage, par exemple, la taille du bikini est réglementée au centimètre près afin qu’il ne cache pas trop le corps des joueuses.

Pour faire la promotion de leur sport, les fédérations internationales de badminton et de boxe ont avancé l’idée d’imposer la jupette. « Au Canada, une majorité de joueuses de badminton porte déjà la jupette pour le confort, explique Christian Guibourt, directeur technique chez Badminton Québec. Mais vouloir l’imposer, c’est sexiste. On évacue le côté sportif des athlètes pour ramener l’attention juste à l’apparence. » Les athlètes et les associations sportives se sont vivement opposées à la suggestion. L’Association internationale de boxe amateur et la Fédération internationale de badminton ont laissé tomber le projet.

Dans certains cas, ce sont les athlètes elles-mêmes qui ont envie de montrer leur corps. Pensons aux microjupettes de la joueuse de tennis Venus Williams ou au calendrier sexy que l’équipe féminine de rugby du Rouge et Or, à l’Université Laval, a voulu vendre en décembre dernier. « Notre société banalise tellement l’hypersexualisation et les publicités utilisant la nudité que les athlètes se disent : “Oui, je suis fière de mon corps. Et je veux le montrer.” Elles en viennent à penser que c’est ce qu’on attend d’elles », explique Guylaine Demers, qui s’est opposée à la publication du calendrier des étudiantes en écrivant une lettre au recteur. L’université a finalement interdit la vente de l’outil de promotion controversé.

Femmes de tête

Le sport et les Olympiques, c’est aussi tout un lot d’administrateurs et de personnel technique. Et c’est là où le bât blesse côté représentation féminine, chez nous comme dans la plupart des pays occidentaux. Au Canada, les femmes représentent seulement 9 % des entraîneurs et 23 % des décideurs dans les organisations sportives.

Une montée de la présence des femmes a bien eu lieu jusqu’autour des années , mais une baisse importante a suivi, signale Guylaine Demers. Pour les entraîneurs, par exemple, un taux de 21 % de femmes avait été atteint, mais depuis , la tendance s’est inversée.

Le problème n’est plus celui de l’accessibilité; les femmes peuvent trouver leur place au sein des associations et des équipes. « C’est le système qui fait défaut, précise la professeure. Les femmes devenues entraîneuses ou gestionnaires ces dernières années réalisent, au bout de deux ou trois ans, que ça ne convient pas à leurs valeurs ni à leurs besoins. Il y a 20 ans, quand les femmes obtenaient un poste d’entraîneuse, elles avaient travaillé si fort qu’elles le gardaient — et on en a vu, des burn-outs… Aujourd’hui, les femmes refusent d’y laisser leur santé ou de négliger leur vie de famille. »

L’organisme Égale Action aide justement les associations et les organisations sportives à revoir leur système pour qu’il devienne plus accueillant pour les femmes, notamment avec des services de garde ou la possibilité d’obtenir l’aide gratuite d’une nanny pendant les voyages à l’étranger.

Photographie de Mme Guylaine Bernier.
Après 35 ans à oeuvrer au sein d’organisations sportives, l’ancienne avironneuse Guylaine Bernier a bien connu ces réunions de travail où les gars revenaient des toilettes d’accord sur une proposition de l’un d’entre eux.

Guylaine Bernier est l’une de ces femmes qui se sont accrochées après avoir durement fait leur place. Ancienne avironneuse, elle œuvre depuis 35 ans au sein de diverses organisations comme Aviron Canada, la Commission d’arbitrage de la Fédération internationale des sociétés d’aviron (FISA) et le Centre national multisport – Montréal. Elle sait trop bien que les femmes peuvent se sentir isolées.

Elle se souvient qu’au début des années , une femme ayant un prénom masculin avait été élue au CA d’une association d’aviron provinciale, puis rejetée lorsque ses collègues avaient réalisé qu’elle était une femme! L’Association canadienne d’aviron amateur (aujourd’hui Aviron Canada) avait dû intervenir.

« J’ai été la première femme à la Commission d’arbitrage. Je me suis vraiment sentie toute seule, raconte-t-elle. Comme par hasard, pendant les réunions, les gars allaient aux toilettes et en revenaient tous d’accord sur la proposition de l’un d’entre eux! Aujourd’hui, il y a un peu plus de femmes, mais pas encore suffisamment. » Comme le « réseautage » serait une pratique plus courante chez les hommes, les postes ouverts circuleraient plus facilement entre eux que chez les femmes.

Pays sans femmes

Sur la scène internationale, trois pays n’ont jamais eu de femmes dans leur équipe nationale : le Qatar, le Brunei et l’Arabie Saoudite. Plutôt que les punir, le Comité international olympique préfère les soutenir afin qu’ils intègrent des femmes dans leur équipe, notamment avec des bourses et de la formation.

« On est confiants pour Londres », affirme la présidente de la Commission femme et sport du CIO, Anita L. DeFrantz, depuis son bureau de Los Angeles. « Le Brunei avait une femme prête pour Pékin, en , mais ne lui a finalement pas permis de participer. L’Arabie Saoudite avait une femme aux Jeux olympiques de la jeunesse d’été à Singapour en ; cette athlète s’entraîne pour les Olympiques. Et le Qatar va avoir des femmes, j’en suis sûre. » De fait, le dernier, le secrétaire général du Comité olympique du Qatar a fait savoir que deux athlètes féminines participeront à des compétitions à Londres : la nageuse Nada Arkaji et la sprinteuse Noor al-Malki. Plus récemment, l’Arabie Saoudite a vaguement promis la participation de Saoudiennes aux prochains Jeux olympiques, sans annonce officielle de la part des instances sportives nationales. Le sultanat de Brunei, quant à lui, s’est engagé à présenter au moins une athlète lors des jeux de 2012.

Les Jeux olympiques ont un impact certain pour valoriser la présence des femmes dans le sport. Guylaine Demers rappelle que ça a été le cas lors des Jeux olympiques de Montréal, en , entre autres grâce à la gymnaste Nadia Comăneci, qui a poussé des centaines de filles à faire du sport. « Les Olympiques peuvent être une vitrine incroyable pour l’équité. Si l’exemple vient d’en haut, il peut avoir un impact partout dans le monde. » 

Les athlètes dans votre télé

La couverture médiatique du sport est loin d’être égalitaire. Une vaste étude réalisée en aux États-Unis par la LA84 Foundation (un organisme à but non lucratif qui cherche notamment à faciliter la pratique du sport chez les jeunes) a révélé que seulement 6,3 % des nouvelles sportives télévisées concernaient des athlètes féminines, alors que 91,4 % traitaient d’athlètes masculins (et 2,3 % étaient neutres). Le ratio gagne en équilibre uniquement pendant les Jeux olympiques. Au Canada, le scénario est similaire.

Anita L. DeFrantz, présidente de la Commission femme et sport du CIO et de la LA84 Foundation, ajoute que les sports féminins présentés à la télévision sont peu variés. En effet, toujours selon l’étude de , 42,4 % des reportages concernaient le tennis. « Et pourquoi les médias doivent-ils toujours préciser qu’un événement sportif est féminin quand ils en parlent? » questionne-t-elle.