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L’art thérapie de Mélissa Mollen Dupuis

Entretien avec Mélissa Mollen Dupuis, cofondatrice de Idle No More Québec et artiste engagée.

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Cofondatrice du mouvement Idle No More au Québec, l’artiste multidisciplinaire Mélissa Mollen Dupuis consacre sa vie à l’art engagé, au soutien des peuples autochtones et à l’amélioration de leurs conditions de vie. Mais surtout, elle souhaite faire connaître la culture autochtone, partout où elle le peut.

Logo Agenda 21C.

En lien avec l’Agenda 21C du Québec, la Gazette des femmes propose une série d’articles mettant en valeur l’apport culturel de femmes au développement régional. Cette quatrième parution de la série nous vient de Montréal.

Difficile de séparer l’artiste de sa culture et de son engagement social et politique : toutes ces facettes forment un tout qui semble indissociable de la personnalité de Mélissa Mollen Dupuis. Cette trentenaire originaire d’une réserve de Mingan, élevée par une mère innue et un père blanc québécois « pure laine », est devenue Montréalaise depuis une dizaine d’années. Parce qu’elle a grandi dans cette communauté, Mélissa s’identifie d’abord comme innue, et ce, même si elle est proche de sa famille paternelle. « J’aime les deux cultures. Je veux faire le pont entre les deux. J’aimerais que l’histoire et la culture autochtones soient intégrées dans les programmes scolaires québécois. » Pour elle, l’art permet justement de les faire rayonner.

Quand est venu le temps de quitter sa communauté pour poursuivre ses études en arts visuels et médiatiques, il n’était aucunement question pour Mélissa d’opter pour une ville plus petite que la métropole. « Très jeune, je voulais aller vivre à Montréal parce que c’est un endroit qui bouge, qui bourdonne. » Puisqu’elle ne retourne dans sa région natale qu’une seule fois par année en moyenne, l’inspiration artistique, qu’elle puisait jadis dans la nature qui l’entourait, lui provient dorénavant essentiellement de l’activité humaine urbaine. « Ce sont les gens que je rencontre, les discussions auxquelles je prends part qui nourrissent mon inspiration. » Le Jardin des Premières-Nations, où elle a travaillé comme animatrice dès le début de sa vie urbaine et jusqu’à tout récemment, a grandement participé à adoucir sa transition de la ruralité à l’urbanité. « C’était mon oasis de verdure. »

Le pouvoir de l’art

Enfant, cette artiste multidisciplinaire s’est d’abord exprimée par l’entremise d’un art typiquement autochtone : l’enfilement de perles, communément appelé le « perlage ». De la peinture à l’art textile en passant par la sculpture, Mélissa a exploré différentes techniques pour se concentrer, ces dernières années, sur des performances comme conteuse et des productions en tant que cinéaste.

Les contes et légendes autochtones l’ont aidée à traverser des moments difficiles, alors qu’elle n’était qu’une enfant. Aujourd’hui, raconter ces histoires est devenu une façon de transmettre et de faire connaître sa culture au public montréalais, par la voie traditionnelle de l’oralité, mais également d’aider les enfants et les adultes, particulièrement les femmes, à surmonter leurs difficultés.

Elle explique que le conte autochtone est destiné à tous les âges. Il comprend souvent des dimensions érotique et scatologique, tourne en dérision des situations dramatiques, contient une bonne dose d’absurde et d’humour. Les personnages qu’il met en scène, les tricksters, sont des joueurs de tours; ils ne sont ni bons ni mauvais, plutôt les deux à la fois. Selon Mélissa, ces particularités permettent aux enfants tout comme aux adultes de verbaliser des événements difficiles (violence, agressions…) et de les surmonter plus facilement. « J’ai créé plusieurs performances en lien avec les droits des femmes autochtones et les discriminations qu’elles vivent. Je pense toujours aux droits des femmes quand je crée », dit-elle.

Photographie de Mélissa Mullen Dupuis.

« Quand on vient d’une nation qui n’a pas couché son histoire dans des livres, ce qui compte, c’est le transfert de la connaissance d’une personne à l’autre. C’est ce qui permet à la culture de survivre. »

Mélissa Mollen Dupuis, cofondatrice du mouvement Idle No More Québec et artiste multidisciplinaire

Même si les sujets qu’elle aborde sont sérieux, l’humour est toujours de la partie. C’est une façon typiquement autochtone de surmonter les drames, explique Mélissa Mollen Dupuis. Elle raconte : « Quand mon père est décédé, ç’a été une épreuve très difficile. Toute la famille était réunie autour du lit du défunt : on faisait des blagues, on se remémorait les anecdotes les plus drôles de notre vie avec lui. C’était déstabilisant pour les non-autochtones présents, mais pour nous, c’est une façon de faire notre deuil. »

L’oralité pour ne pas oublier

En plus de faire connaître, par l’art, les drames que les femmes vivent, Mélissa souhaite remettre à l’avant-plan le rôle de leadership des femmes autochtones qui, selon elle, a été oublié avec la colonisation. « Les premiers Européens ne voulaient pas négocier avec les femmes. » Elle se définit comme féministe autochtone, faisant référence à un féminisme inclusif de la famille.

Plus récemment, son parcours artistique l’a amenée à explorer la vidéo, qui lui a permis à nouveau de combiner art et engagement social. « J’ai réalisé qu’en mettant l’oralité de l’avant et en utilisant la narration et le visuel comme modes de transmission, la vidéo est finalement une forme d’expression artistique très autochtone. J’en suis tombée amoureuse! » Jusqu’à maintenant, elle a réalisé trois courts métrages, tous sous l’égide du Wapikoni mobile : Femmes autochtones disparues et assassinées, O et Nanapush et la tortue. Ces productions traitent des traditions autochtones et dénoncent des situations de discrimination.

Du conte à la vidéo, la transmission par l’oral lui est chère : « Quand on vient d’une nation qui n’a pas couché son histoire dans des livres, ce qui compte, c’est le transfert de la connaissance d’une personne à l’autre. C’est ce qui permet à la culture de survivre. »

Jamais à court de projets, Mélissa Mollen Dupuis a le vent dans les voiles. Elle travaille au Centre de développement communautaire autochtone de Montréal, où elle permet aux autochtones montréalais de renouer avec leurs traditions. Elle vient en outre d’être honorée de l’un des prestigieux prix du Consulat général des États-Unis qui l’amènera, en compagnie de cinq autres leaders autochtones du Canada, dans un périple chez nos voisins du sud, pour visiter et échanger avec une dizaine de communautés autochtones. Son engagement et sa passion pour les Premières Nations transcendent les frontières.