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Le maternage proximal, entre amour et malaise

Une nouvelle tendance dans le monde de la maternité ne fait pas l’unanimité.

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Cododo, allaitement prolongé, portage : ces pratiques sont associées à l’attachment parenting, la nouvelle tendance dans le monde de la maternité. Le terme est communément traduit par « maternage proximal » — parfois par « parentage proximal », pour évacuer l’idée d’un rapport exclusif à la mère. Peu importe son nom, le mouvement fait naître la controverse.

Popularisée par le pédiatre américain William Sears au tournant des années 2000, la théorie du maternage proximal prône l’évolution du bébé en lien étroit avec ses parents, afin qu’il puisse développer un lien d’attachement et de confiance solide, explique Claudette Nantel, psychologue spécialisée en périnatalité. « La sécurité, pour un bébé, implique d’être physiquement et émotionnellement proche de ses parents. Cette sécurité affective permet tout le reste du développement », soutient-elle.

Photographie de Claudette Nantel.
« Il est dommage de voir certaines femmes se comparer entre elles. Le maternage proximal n’est pas un mode d’emploi. »
 — Claudette Nantel, psychologue spécialisée en périnatalité

L’attachment parenting se fonde donc sur la théorie de l’attachement formulée pour la première fois dans les années 1960 par le psychiatre John Bowlby. De nombreuses études sont ensuite venues étayer ses recherches. Ainsi, dans les années 1990, on découvre que l’attachement est un besoin neurologique primaire chez l’enfant.

Concrètement, le parentage proximal est basé sur certaines pratiques que ses défenseurs estiment fondamentales : le portage, l’allaitement à la demande, le cododo (dormir avec le bébé), le peau à peau à la naissance et le fait de ne pas laisser bébé pleurer inutilement. Pour Valérie Poulin, photographe et mère de deux enfants, le concept s’est imposé de lui-même. « Toutes ces façons de faire nous sont d’abord venues naturellement, à mon conjoint et moi. Nous sommes par la suite tombés sur le livre de Sears et ç’a été comme une révélation, raconte-t-elle. On croyait suivre notre instinct, et finalement, c’est une vraie pratique. Pour nous, c’est simplement une manière très naturelle de vivre la parentalité. »

Une pression sur les femmes?

Si plusieurs adoptent cette vision, d’autres sont d’avis que le maternage proximal n’est qu’un boulet de plus pour les femmes. C’est le cas de Francine Descarries, professeure en sociologie à l’UQÀM et directrice du Réseau québécois en études féministes : « Une théorie comme celle-là crée une pression incroyable sur la femme, en renforçant l’idée qu’il y a un modèle de mère idéale. À moins d’écarter son couple et ses obligations professionnelles, on ne peut pas y arriver. Inévitablement, ça finit par entraîner un sentiment de culpabilité profond. »

Pour l’auteure et chroniqueuse Marianne Prairie, le dérapage est effectivement facile. « Le problème, c’est que cette vision de la parentalité a été présentée comme salvatrice : elle allait transformer l’expérience de la maternité en quelque chose de sublime », dit-elle. Elle remarque un engouement grandissant pour cette théorie sur les blogues de mamans et les réseaux sociaux. Or, elle craint que cet effet de popularité contribue à la pression ressentie par les mères. « Quand tu es entourée de femmes qui pratiquent le parentage proximal, tu as l’air d’une mère ingrate. »

Photographie de Marianne Prairie.
« Le problème, c’est que cette vision de la parentalité a été présentée comme salvatrice : elle allait transformer l’expérience de la maternité en quelque chose de sublime. »
 — Marianne Prairie, auteure et chroniqueuse

Pas nécessairement, rétorque Valérie Poulin. « Il y en a qui voient le parentage proximal comme étant très rigide. Mais il n’y a pas de vérité absolue. On peut très bien être un parent proximal sans en pratiquer tous les aspects. » Claudette Nantel abonde dans le même sens. « Il est dommage de voir certaines femmes se comparer entre elles. Le maternage proximal n’est pas un mode d’emploi. » Elle ajoute que le terme maternage doit être pris au sens générique, et que le père peut tout à fait remplacer sa conjointe.

Annie Cloutier, auteure de l’essai Aimer, materner, jubiler (VLB éditeur, 2014), a beau être d’accord avec le concept, elle admet qu’entre la théorie et la pratique, il y a un pas. « On peut argumenter qu’autant le père que la mère peuvent pratiquer le parentage proximal, mais dans les faits, ce sont toujours les femmes qui se sentent plus concernées. » Elle-même a fait le choix de devenir mère à la maison afin de vivre pleinement sa vie de famille et d’améliorer sa qualité de vie.

Photographie d'Annie Cloutier.
« Ça peut être agaçant de voir des femmes pousser très loin la dimension maternelle de leur existence. Mais ce n’est pas une raison pour rejeter d’emblée ce mode de vie du revers de la main… »
 — Annie Cloutier, auteure de l’essai Aimer, materner, jubiler

Valérie Poulin croit que ce sont souvent les femmes elles-mêmes qui ne laissent pas une grande place au père dans le quotidien. « Les gens s’étonnent parfois de voir que j’ai un conjoint aussi impliqué. J’ai simplement appris à le laisser faire les choses à sa manière. Un père peut aussi faire du portage, ou assister la mère pendant l’allaitement! »

Pour Francine Descarries, il ne fait aucun doute que l’enfance est étroitement associée à la mère, ce qu’elle trouve déplorable. « On a remis en question des bases fondamentales du féminisme en adoptant une vision de la maternité qui diffère selon le sexe. » Elle fait remarquer que, depuis 10 ans, les couvertures de magazines regorgent de femmes enceintes clamant leur bonheur de devenir mères. Puis, ces mêmes magazines prônent le retour à une taille de guêpe après l’accouchement. « Nous sommes clairement revenus à un discours où la mère est au cœur de l’identité féminine. »

Féminisme et maternité, le grand trouble

Il y a quelques années, des chercheurs de la Virginie se sont penchés sur le lien entre féminisme et maternage proximal. En sondant quelque 431 femmes réparties en quatre groupes (mères féministes, féministes sans enfants, mères non féministes et femmes non féministes sans enfants), ils souhaitaient déterminer lesquelles soutenaient les pratiques liées au maternage proximal. Les conclusions en ont étonné plus d’un : les féministes, mères ou non, étaient plus nombreuses à endosser cette théorie. Elles étaient par ailleurs souvent victimes de préjugés de la part des femmes non féministes, ces dernières étant convaincues que les féministes n’étaient pas intéressées par le maternage proximal, vu le temps et l’effort requis pour l’exercer. Les mères féministes ont aussi avoué se juger durement, se considérant un peu atypiques d’accorder autant d’importance à la maternité.

Photographie de Francine Descarries.
« Une théorie comme celle-là crée une pression incroyable sur la femme, en renforçant l’idée qu’il y a un modèle de mère idéale. »
 — Francine Descarries, professeure en sociologie à l’UQÀM et directrice du Réseau québécois en études féministes

Selon Annie Cloutier, si les femmes se tournent parfois vers une forme d’« hyperparentalité », c’est que la maternité est désormais un projet bien réfléchi. « Nous n’avons pas beaucoup d’enfants, mais ils sont souvent planifiés, longtemps désirés. Conséquemment, les mères lisent beaucoup, s’autoévaluent et se posent constamment des questions », explique-t-elle. Elle estime que le parentage proximal, que certains qualifient d’hyperparentalité, est associé à une classe moyenne plus aisée qui peut se permettre de se préoccuper amplement du bien-être de sa progéniture. « La personne qui veut faire du maternage proximal va généralement mettre le travail rémunéré de côté… »

C’est justement ce genre de conséquence que craint Marianne Prairie; elle rappelle que le discours du Dr Sears préconise un retour à la maison pour les femmes. Francine Descarries fait le même constat : « Nous assistons au regain de popularité d’un modèle ancien : la mère au foyer est idéalisée. » Elle ne s’en étonne toutefois pas. « Tant que nous n’aurons pas réglé les problèmes de la division des tâches au foyer et de la conciliation travail-famille, les femmes vont se remettre en question. »

Reste que pour certaines, parentage proximal et féminisme ne sont pas incompatibles. « Ça peut être agaçant de voir des femmes pousser très loin la dimension maternelle de leur existence. Mais ce n’est pas une raison pour rejeter d’emblée ce mode de vie du revers de la main… » souligne Annie Cloutier. Dans tous les cas, c’est la notion de choix qui doit prévaloir, rappelle Marianne Prairie. « Il est important d’avoir une diversité de philosophies et de s’assurer que nos choix correspondent à nos valeurs, tout simplement. »