Aller directement au contenu

Souligner la vitalité d’un centenaire

Le 6 septembre, l’AFFC célébrait le 100e anniversaire du premier mouvement social des femmes francophones au Canada.

Date de publication :

Auteur路e :

Le 6 septembre dernier, l’Alliance des femmes de la francophonie canadienne (AFFC) soulignait à Ottawa ses 100 ans d’existence, ce qui en fait le premier groupe féministe canadien. Pour l’occasion, on a célébré la contribution de 100 femmes qui ont fait la francophonie. Ces 100 portraits feront l’objet d’un livre, mais, en attendant, 38 d’entre elles étaient présentes ou représentées lors d’une soirée de gala au Centre national des Arts. Cela a donné lieu à des moments très touchants, notamment quand les filles, sœurs, petites-filles ou même arrière-petites-filles se sont présentées sur la scène pour recevoir les honneurs.

Cette célébration marquait 100 ans de luttes, de détermination et de réussites francophones au féminin. Il faut savoir que les origines de l’AFFC remontent à 1914, alors qu’Almanda Walker-Marchand fonde la Fédération des femmes canadiennes-françaises (FFCF) — premier regroupement non religieux de femmes de langue française à l’extérieur du Québec —, l’un des trois organismes qui fusionneront pour donner naissance à l’AFFC, en octobre 2005.

Photographie de Paulette Sonier Rioux.
Paulette Sonier Rioux a présidé le comité responsable d’évaluer les candidatures pour le gala de reconnaissance qui s’est tenu le 6 septembre dernier. Les candidates retenues effectuent toutes un « travail de terrain », là où la lutte pour la survie du français est quotidienne.

La soirée a été l’occasion de souligner non seulement le travail de véritables piliers de la francophonie canadienne comme Gisèle Lalonde, Madeleine Meilleur et Paulette Sonier Rioux, mais aussi celui de femmes méconnues qui ont mené des combats moins médiatisés, mais non moins importants. Des femmes comme Noëlla Arsenault, de l’Île-du-Prince-Édouard, qui est allée jusqu’en Cour suprême pour faire reconnaître le droit à l’éducation en français dans sa province. « Je ne faisais que ce que je devais faire, comme mère, comme femme, déclareMmeArsenault. Je n’ai mené ce combat que pour mes enfants et mes petits-enfants. Mais de voir combien de gens ont pu en profiter, ça fait chaud au cœur! Une soirée comme aujourd’hui, qui honore des femmes qui ont fait des choses pas pour la gloire — mais on a fait ce qu’on croyait qu’on devait faire; les gens nous disent merci. C’est un honneur d’être ici! »

Femmes solidaires de la francophonie

Ce sont les groupes membres de l’AFFC qui ont soumis des candidatures, évaluées par un comité présidé parMmeSonier Rioux, elle-même lauréate. Les candidatures retenues viennent donc du terrain, là où la lutte pour la survie du français est quotidienne. Ces femmes se côtoient dans leurs différentes actions, à travers leurs engagements. Est-ce à dire que la francophonie est vivante et vibre grâce aux femmes? C’est ce que croit l’honorable Michaëlle Jean, présidente d’honneur de la soirée, qui a rendu hommage à celles qui défendent « la langue maternelle et, surtout, le goût de la transmettre ».

Françoise Boivin, députée fédérale de Gatineau, ne pouvait manquer cette soirée. « Il faut souligner ces causes combattues à travers les décennies. On prend beaucoup de choses pour acquises, comme si tout nous était tombé du ciel, mais quand on regarde le chemin parcouru… C’est une bonne chose que nous, les Québécoises, soyons informées de ces luttes. On ne se rend pas toujours compte des défis que cela pose, être francophone dans le reste du Canada… On doit être solidaires. »

Le problème du financement

Organiser une telle soirée n’est pas une mince tâche, mais un si important anniversaire ne saurait être passé sous silence, comme l’a indiqué la présidente de l’AFFC, Nancy Hayes. L’ancêtre de l’AFFC, la Fédération nationale des femmes canadiennes-françaises, est née en 1914 dans la foulée de la lutte pour l’obtention du droit de vote. « Aujourd’hui, on oublie tous ces combats, que les femmes se sont battues pour obtenir tous ces droits, rappelleMmeHayes. Il fallait donc le souligner en grand, en présence d’un grand nombre de lauréates ou de leurs familles. »

Photographie de Nancy Hayes.
« Aujourd’hui, on oublie tous ces combats, que les femmes se sont battues pour obtenir tous ces droits. Il fallait donc le souligner en grand, en présence d’un grand nombre de lauréates ou de leurs familles. »
 — Nancy Hayes, présidente de l’Alliance des femmes de la francophonie canadienne

La présidente ne cache pas que gérer un organisme national comme l’AFFC, qui est un amalgame de plusieurs organisations locales réparties sur tout le territoire canadien, présente des défis particuliers, notamment sur le plan de sa structure. « La grande difficulté, c’est la logique d’investissement mise en place par le gouvernement, où les fonds sont injectés presque uniquement dans les services directs aux Canadiennes », soutient-elle. De fait, dans les dernières décennies, les grands secteurs de la société et de l’économie canadienne ont été examinés à la loupe, amputés et réorganisés par les partis au pouvoir. Avec pour résultats des politiques néolibérales misant d’abord et avant tout sur des valeurs de compétitivité et de profits. Exit le soutien à la recherche, aux groupes de femmes, aux groupes environnementaux, sociaux, culturels, etc. La tâche est d’autant plus ardue pour l’AFFC que l’actuel gouvernement canadien ne se montre ni particulièrement attentif aux besoins et conditions des femmes, ni particulièrement intéressé par la francophonie. « On sent un désir de désengagement du communautaire et du social de la part du gouvernement qui nous inquiète grandement. Nous, notre travail se fait auprès des organismes dans les provinces; ce sont eux qui livrent le message aux femmes. Notre difficulté est de redéfinir notre mission et de faire comprendre l’importance de celle-ci auprès du gouvernement, et de concilier les attentes des femmes avec celles de nos bailleurs de fonds », soulèveMmeHayes.

Reste donc le financement par projet, la recherche de partenaires. C’est dans ce contexte que l’AFFC s’associe en avril 2014 au Réseau de développement économique et d’employabilité du Canada (RDEE) pour un projet sur le leadership en affaires au féminin. Cela n’a pu que susciter l’intérêt de l’une des conférencières invitées, Danièle Henkel, la « dragonne » de la célèbre émission Dans l’œil du dragon, présentée à Ici Radio-Canada. Son allocution lors de la soirée a porté sur les enjeux et les embûches qui attendent toute femme qui projette de se lancer en affaires. « Cela peut prendre des années avant même de gagner sa vie convenablement », témoigne-t-elle, en ajoutant du même souffle : « Mais quand on croit en ce qu’on fait, on doit foncer! »

Mobiliser la relève

Un autre projet de l’AFFC est d’intéresser les femmes, et surtout les jeunes, à la politique. De la musique aux oreilles de l’une des lauréates québécoises, Élaine Hémond, fondatrice du Groupe Femmes, Politique et Démocratie. « C’est de l’empowerment citoyen qu’on fait, dit-elle. Il faut que les gens sachent que la démocratie, ce n’est pas qu’aller voter une fois par année! Il faut comprendre ce qui se passe, comprendre où ils et elles peuvent agir et interagir. On n’est pas que des consommateurs de démocratie! Je suis encore à la recherche de moyens pour que les gens s’approprient la vie en société, une quête qui m’a menée en Afrique, notamment au Niger, où j’ai accompagné des femmes dans leurs premiers pas vers les Parlements. Quelle expérience! »

Photographie de Hélène Hémond.
« Il faut que les gens sachent que la démocratie, ce n’est pas qu’aller voter une fois par année! Il faut comprendre ce qui se passe, comprendre où ils et elles peuvent agir et interagir. On n’est pas que des consommateurs de démocratie! »
— Élaine Hémond, fondatrice du Groupe Femmes, Politique et Démocratie

La fondatrice de la Fédération nationale des femmes canadiennes-françaises, Almanda Walker-Marchand, faisait également partie des lauréates. C’est son arrière-petite-fille, Monique Marchand, qui a reçu les honneurs posthumes réservés à son arrière-grand-mère. « Je suis vraiment émue par cette soirée, de voir que l’organisme célèbre ses 100 ans, que le mouvement continue à travers le Canada, c’est incroyable! Mon arrière-grand-mère, c’était une pionnière, à l’avant-garde de tout le monde. Les femmes ne faisaient pas des choses comme ça dans ce temps-là. Et d’avoir un époux qui la soutenait dans son action, ça, c’est spécial aussi! »

Micheline Paradis, une des fondatrices de la Gazette des femmes et actuelle présidente du Groupe Femmes, Politique et Démocratie, était de la fête. « Pour une fois qu’on honore les réussites des femmes, des francophones! Il faut que nos filles et nos petites-filles puissent, elles aussi, se souvenir. » Mme Paradis a partagé son inquiétude par rapport à ce qu’elle appelle un déficit de mobilisation chez les jeunes d’aujourd’hui. Un constat que ne partage pas Jacqueline Pelletier, une des lauréates de l’Ontario : « Il y a encore beaucoup de luttes à mener, c’est vrai, mais les jeunes femmes s’inventent leur féminisme. Je ne sais pas de quoi il aura l’air. Elles s’entraident d’autres façons, à travers les médias sociaux, notamment. J’ai beaucoup confiance en elles. Les nouvelles technologies me semblent très porteuses de solutions créatives pour l’avenir du mouvement féministe. » De quoi finir la soirée sur une note optimiste et festive!