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Femmes de mines

Un entretien avec ces femmes qui prennent d’assaut les mines.

Date de publication :

Les femmes ne représentent que 18 % des employés de l’industrie minière canadienne, mais se font de plus en plus présentes, voire influentes. Les associations minières du Québec et du Canada ont même des femmes à leur tête. Alors que, il y a une trentaine d’années, on leur refusait l’accès sous terre, aujourd’hui, elles font reconnaître mondialement leur expertise. En attirer davantage demeure toutefois un défi.

En avril dernier, plus de 200 membres de la Chambre de commerce de Val-d’Or sont venus rencontrer Louise Grondin à l’occasion de la Semaine minière du Québec, qui avait pour thème « L’industrie minière québécoise, créatrice de valeurs ». Celle que l’on surnomme la « mère nature » d’Agnico Eagle est, depuis 2007, la vice-présidente principale Environnement et développement durable de ce producteur d’or international. Passionnée, celle qui compte 21 années d’expérience dans les mines n’a que de bons mots sur son cheminement dans le domaine.

Photographie de Louise Grondin.
« Il ne faut pas penser qu’il faut être quelqu’un d’autre parce qu’on est une femme dans l’industrie minière. Il faut que tu travailles dur, c’est sûr, mais si tu es toi-même, les gens vont t’accepter comme tu es. »
 — Louise Grondin, vice-présidente principale Environnement et développement durable chez Agnico Eagle

Il faut dire que Louise Grondin n’a plus à faire ses preuves. En 2013, elle figurait, comme trois autres Québécoises, dans le top 100 des femmes les plus inspirantes du monde minier, publié par l’organisme Women in Mining. Pour en arriver à une telle notoriété, l’Amossoise d’origine assure qu’elle n’a jamais eu à cacher sa personnalité. « Il ne faut pas penser qu’il faut être quelqu’un d’autre parce qu’on est une femme dans l’industrie minière. Il faut que tu travailles dur, c’est sûr, mais si tu es toi-même, les gens vont t’accepter comme tu es », estime-t-elle.

Les femmes du milieu minier n’ont pas toujours vécu des histoires faciles. Avant que cette entreprise minière québécoise soit vendue, Sylvie Prud’homme était la directrice des relations avec les investisseurs chez Osisko. Avec son amie géologue, Caroline Wilson, elle a découvert la plus grande mine d’or à ciel ouvert du Canada, la Canadian Malartic. Cet accomplissement aurait été difficile à imaginer il y a 35 ans, au début de sa carrière. « La première fois que je suis descendue sous terre avec d’autres femmes, les mineurs nous regardaient un peu étrangement, parce qu’on disait encore que ça portait malchance », raconte-t-elle. À la même époque, Caroline Wilson, elle, n’a même pas eu le « privilège » des regards douteux. « À ma première visite à la Sigma de Val-d’Or, je n’ai même pas pu entrer dans la mine : l’accès était interdit aux femmes », se rappelle-t-elle. En effet, pendant des décennies et jusqu’en 1977, la loi interdisait aux femmes et aux filles de travailler sous terre dans une mine, sauf comme ingénieure ou géologue.

Photographie de Sylvie Martel à côté d'un super camion
Sylvie Martel, opératrice de camion pour la mine Canadian Malartic, encourage les femmes à avoir davantage confiance en elles et essayer ce genre de métier qui n’est pas très exigeant physiquement, contrairement à ce que la plupart pensent.

Si plusieurs pionnières de l’industrie ont troqué leurs bottes de travail contre le tailleur, d’autres choisissent délibérément de travailler sur le terrain, comme Sylvie Martel, opératrice de camion pour la mine Canadian Malartic. « Au début, c’était juste pour essayer, puis je suis tombée amoureuse. » Son amour, c’est son camion, qui peut transporter 240 tonnes de roches dans la fosse de deux kilomètres de long sur plus de 700 mètres de large. « La grosseur est impressionnante, mais la conduite est… géniale! » Selon Sylvie Martel, les femmes devraient avoir plus confiance en elles et essayer ce genre de métier qui est peu exigeant physiquement, contrairement aux apparences. De plus, jamais, dit-elle, ses collègues ne lui ont manqué de respect. « Une belle complicité s’est installée », indique-t-elle.

Sous-représentées

Plusieurs femmes sont visiblement épanouies dans le domaine minier. Malgré cette satisfaction, et leur influence grandissante, les statistiques démontrent clairement leur sous-représentation. L’Université Carleton d’Ottawa s’est intéressée au phénomène et a constaté que, de 1988 à 2011, les femmes dans les mines sont passées d’environ 14 % à 18,6 % de l’effectif. Il faut savoir que moins de 5 % des postes scientifiques, de gestion et de production sont occupés par des femmes, alors qu’on retrouve ces dernières dans la plupart des rôles de bureau et de soutien (95 %) et dans les postes de services généraux (60 %). Cette augmentation de 4,6 % en 23 ans ne les a ainsi pas propulsées au sommet de leur industrie car, toujours en 2011, elles ne représentaient que 6,6 % des administrateurs d’entreprises minières et de ressources, un taux indéniablement bas si on le compare à celui d’autres secteurs économiques, où la présence des femmes varie de 9,7 % à 40 %.

Sylvie Prud’homme a remarqué cette faible hausse du personnel féminin. « Le pourcentage n’a pas beaucoup changé, mais la mentalité des collègues tend à évoluer. » Louise Grondin, elle, constate que les femmes dans les mines se concentrent encore dans des secteurs particuliers. « En environnement et en géologie, on voit plus de femmes, mais en génie minier, elles demeurent peu nombreuses. »

Les recensements des universités lui donnent raison et traduisent la réalité du marché. À la session d’automne 2013, à l’Université Laval, 44 % des étudiants inscrits en géologie étaient des femmes. Le baccalauréat coopératif en génie des mines et de la minéralurgie, lui, avait attiré 11,59 % d’étudiantes. La différence est semblable pour l’hiver 2014 à l’École polytechnique de Montréal : 16 % de femmes en génie des mines et 43 % en génie géologique.

Même si la géologie se féminise, elle n’est pas le secteur où se retrouvent majoritairement les femmes dans le domaine minier. L’étude de l’Université Carleton, Création d’un leadership ouvert aux deux sexes dans le secteur des mines et des ressources, démontre que les emplois occupés par des femmes dans le secteur minier sont surtout concentrés dans le travail de bureau et de soutien, ainsi que dans les services administratifs et généraux. Des secteurs qui ne représentent qu’environ 20 % des besoins en matière d’embauche de cette industrie d’ici 2016 et 2021.

L’apport féminin

Devant cette sous-représentation, les institutions d’enseignement et les entreprises tentent ardemment de séduire étudiantes et travailleuses. En plus de viser une meilleure représentativité des sexes, les minières sont également en manque de main-d’œuvre : 45 760 nouveaux travailleurs seront nécessaires d’ici 2016, et 75 280 d’ici 2021.

Mais qu’apporteraient les femmes de si différent? « Ce que ça change…? réfléchit Sylvie Prud’homme. Vous savez, il y a des hommes qui préfèrent travailler avec des femmes. Je crois que nous amenons une nouvelle approche, plus de collégialité, de consensus. »

Louise Grondin pense aussi que les femmes ont des compétences particulières à exploiter. « Nous avons une vision différente. On fait preuve de plus de compréhension, et souvent, on a de meilleures capacités à communiquer », dit-elle. Même si elle vante les qualités humaines féminines, elle refuse de croire que les femmes sont recrutées précisément pour « dorer » l’image dure du secteur des mines. « Je ne suis pas un symbole et je fais partie des décisions, se défend-elle. On m’appelle mère nature parce que je m’occupe de l’environnement, mais le président de la compagnie me consulte sur plusieurs enjeux. »

Toutes les femmes interviewées souhaiteraient plus de collègues féminines, mais aucune n’espère l’instauration de quotas ou d’une discrimination positive. Quelques-unes trouvent même dépassé le débat sur la place à faire aux femmes dans les mines. Selon elles, un intérêt marqué pour le milieu et des compétences suffisent pour obtenir une carrière prometteuse.

Il n’en demeure pas moins que, selon l’étude de l’Université Carleton, les compagnies minières auraient tout intérêt à s’adapter davantage en vue de stimuler le recrutement des femmes. De meilleures politiques de conciliation travail-famille, tant pour les hommes que pour les femmes, font partie de la dizaine de recommandations évoquées dans cette étude. Une meilleure collégialité entre les entreprises, l’État et les institutions d’enseignement serait également une voie à suivre pour attirer plus de femmes dans le domaine. Idem pour la mise en valeur et le partage des bonnes pratiques en matière d’égalité des sexes et d’embauche de travailleuses.

Des mesures qu’ont commencé à instaurer des entreprises comme Agnico Eagle et Osisko au cours des dernières années. Elles ont en outre publié chacune un livret racontant l’histoire de femmes œuvrant au sein de l’entreprise.

Dans son avis sur les métiers liés à la construction paru en mars 2013, le Conseil du statut de la femme rappelle les avantages pour les femmes d’intégrer des emplois traditionnellement occupés par des hommes. L’avis insiste sur le fait que la division sexuelle du travail — conséquence des choix d’orientation distincts des garçons et des filles – se traduit le plus souvent, pour les femmes, par des revenus moins importants, des conditions de travail moins intéressantes et des possibilités d’avancement plus restreintes.

« […] les femmes sont concentrées dans un nombre restreint de secteurs de formation. Ainsi, en formation professionnelle, plus de quatre femmes sur cinq étudient dans seulement quatre secteurs : Administration, commerce et informatique; Santé; Soins esthétiques; Alimentation et tourisme. En formation technique, près de trois femmes sur quatre se trouvent dans seulement deux secteurs : Administration, commerce et informatique; Services sociaux, éducatifs et juridiques (MELS, 2010 : 15).
[…]
En général, les métiers traditionnellement masculins offrent aujourd’hui encore de meilleures conditions de travail et des salaires plus intéressants que les métiers où les femmes se trouvent fortement représentées. Selon les données recueillies par le CIAFT [Conseil d’intervention pour l’accès des femmes au travail], les salaires offerts dans les dix principales professions masculines sont toujours plus élevés que ceux qui le sont dans les dix principales professions féminines (CIAFT, 2011 : 27 et 28). »

L’amélioration des conditions socioéconomiques des femmes passe donc aussi par une valorisation de la diversification professionnelle, par la possibilité, pour elles, de se diriger en plus grand nombre vers des métiers non traditionnels.